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"Je préfère consommer à l'abri des regards": Amine, toxicomane, se rend régulièrement en salle de shoot

En 2022, la première salle de consommation à moindre risque a ouvert ses portes à Bruxelles. GATE permet aux usagers de consommer en toute sécurité, mais également de bénéficier de services de soins. Projet de santé publique ou lieu tolérant la dépravation? Dispositif de soins ou appel d'air pour tous les toxicomanes de la capitale? On fait le bilan.  

"Je ne veux pas consommer devant tout le monde", confie Amine, 36 ans. Cet homme vit dans la rue. Il y a quelques années, il a été victime d’un accident lui ayant causé une blessure au genou. Ne supportant plus la douleur associée au froid de l’hiver, il sombre dans l’alcool et commence à consommer du haschich, espérant que ces substances apaiseront son mal-être.  

Je pensais que c'était du shit

Un soir de l’année 2019, alors qu’il avait trop bu, un de ses amis lui tend une pipe. "Je pensais que c’était du shit", raconte Amine. Mais ça ne l’était pas… L’homme se souvient de la sensation qu’il a ressentie après avoir fumé:"Tout d’un coup, je n’avais plus aucune douleur dans la jambe".  

Ce que le trentenaire a consommé, c’est du crack (dérivé de la cocaïne absorbé par voie inhalée NDLR). Il n'a fallu que d'une seule fois pour qu'Amine ressente l'envie d'en prendre encore et encore…  

L’homme n’est pas fier de son addiction. "Je n’aime pas prendre dans la rue devant tout le monde", dit-il. Depuis que la première salle de consommation à moindre risque (SCMR) a ouvert ses portes à Bruxelles, il s’y rend pour fumer en toute discrétion. "Ce centre nous permet de le faire à l’abri des regards", raconte-t-il.  

Accessible depuis 2022, GATE est un centre pluridisciplinaire proposant un espace dédié à la consommation, mais également une aide médicale et sociale.

Un projet réfléchi

Lorsqu’une personne se présente sur place, un entretien est organisé pour qu’elle puisse déclarer son profil, la fréquence à laquelle elle se drogue, et le type de produit qu’elle utilise. "Ça nous permet de contrôler et d’avoir les bonnes réactions en cas de problème", explique Bruno Valkeneers, porte-parole du projet.  

Le bâtiment comporte un espace communautaire et des salles de consultations au premier étage. La salle de shoot, elle, se trouve au rez-de-chaussée pour des questions de sécurité.

"C’est plus facile si certains services doivent intervenir", comme lors d’overdoses, raconte le porte-parole. Avant d’ajouter:"Chacun a son matériel stérile spécialisé, le partage est interdit. Ça évite les infections".  

Une infirmerie est adossée à l’espace de consommation, afin de venir en aide aux usagers en cas de besoin. Bruno Valkeneers explique:"Quand une personne est fortement abîmée par la vie en rue, on découvre parfois des plaies ou des infections quand elle dévoile son bras pour s’injecter. On va alors lui proposer des soins grâce au service infirmier".  

50% du public de GATE vit dehors

Cette assistance est essentielle, puisque le porte-parole explique que "50% du public de GATE vit dehors", et "que ces gens n’ont aucune autre alternative à l’espace public". Dans le centre, la moyenne d’âge est de 40 ans. Parmi les membres, huit personnes sur dix consomment du crack.  

Le public est composé de 80% d’hommes, et d’environ 20% de femmes. Pour répondre à des questions plus spécifiques, le personnel du centre propose une approche genrée, afin de mettre les femmes en confiance. Tous les vendredis, un espace femmes est prévu pour aborder des problématiques comme l’intimité, l’hygiène ou la confiance en soi. 

Encadrement ou incitation?

Les drogues des bénéficiaires sont également testées une fois par semaine "pour connaître la composition des produits et limiter les risques liés à la consommation", précise Bruno Valkeneers. Il ajoute qu’il s’agit d’une démarche d’intérêt public, puisqu’elle "permet  aussi d’analyser les tendances de consommations des usagers".  

Les idées reçues sont fausses

Si certains racontent qu’un centre comme GATE favorise la dépendance et engendre une migration des toxicomanes dans le quartier, le porte-parole du projet affirme du contraire. "Les idées reçues sont fausses. Ce n’est pas un appel d’air pour les usagers, ni pour le trafic de drogue".  

Depuis que le centre a ouvert, une augmentation de 19% de sans-abris a été observée à Bruxelles. Ce public étant particulièrement vulnérable, la consommation de drogue s’accroît également dans la capitale. Mais l’homme insiste:"Cette augmentation n’a rien à voir avec le projet!".  

Concernant la migration des toxicomanes dans Bruxelles, il explique:"Les statistiques montrent que les bénéficiaires viennent principalement de Bruxelles-Ville et des quartiers limitrophes à la salle. Les gens ne parcourent pas des kilomètres pour s’adresser à ce genre de dispositif, d’où l’importance d’en ouvrir d’autres là où sont identifiées des scènes de consommation".  

GATE est une mission de santé publique

Bruno Valkeneers souligne que le but n’est pas de promouvoir l’usage de stupéfiants, mais d’offrir un espace sécurisé. "On est loin de ce que se représentent certains. GATE est une mission de santé publique", affirme-t-il. Avant d’ajouter:"La création de ce genre de service de soin adapté au public précaire les aide à prendre leur santé en considération. Dans la rue, ils ne prennent pas le temps de doser ou de se désinfecter le bras, c’est beaucoup plus dangereux".  

Une centaine de passages quotidiens

Mais les personnes ne se rendent pas forcément dans ce centre que pour consommer. Certains y vont pour accéder aux consultations, pour régler des problèmes administratif, ou simplement pour profiter de la vie en communauté.  

Au total, plus de 17 000 personnes sont inscrites dans le centre. Bruno Valkeneers affirme qu’approximativement 100 à 150 passages sont enregistrés chaque jour, ce qui correspond à environ 30 à 50 personnes différentes.

GATE a pu éviter plus de 20 000 actes de consommation dans l’espace public

"GATE a pu éviter plus de 20 000 actes de consommation dans l’espace public. Ces statistiques sont basées sur les témoignages de personnes qui ont affirmé qu’ils auraient été dans la rue si cette salle n’existait pas", dit-il.  

De plus, certains usagers consommeraient moins à l’intérieur du centre qu’à l’extérieur. Le porte-parole explique:"Ici, ils ont plus de temps pour la préparation, ils sont moins pressés et moins stressés, ils peuvent s’occuper, jouer à un jeu, se reposer ou parler… Ils pensent moins à consommer".  

Aide au sevrage

Les personnes souhaitant traiter leur addiction sont aussi les bienvenues. Les médecins présents sur place peuvent proposer des traitements alternatifs aux drogues habituellement ingérées.  

Ancien héroïnomane, Pinto, 50 ans, a demandé de l’aide au personnel de GATE. "Avant, si j’avais de l’argent, je consommais un demi-gramme par jour. Si je n’avais pas ma dose, je ne pouvais pas manger, ni dormir, ni travailler", témoigne-t-il. Depuis six mois, l’homme n’a pas touché à la drogue. À la place, il prend de la méthadone, traitement de substitution à l’héroïne.  

Une personne en manque dans la rue est une personne très dangereuse

Bien qu’il ne consomme plus, il se rend chaque jour chez GATE. Parfois pour rencontrer les médecins, parfois pour discuter avec d’autres membres de la communauté. Selon lui, ce genre d’espace est indispensable. "La drogue, ça rend fou. Une personne en manque dans la rue, c’est une personne très dangereuse. Elle fera tout pour pouvoir consommer. Dans la rue, dans le métro, devant les enfants… Ici, il y a le matériel nécessaire et il y a de l’hygiène, c’est bien", affirme-t-il.  

Dans le futur, une deuxième salle devrait ouvrir ses portes à Bruxelles, dans le quartier Ribaucourt. Un espace d’accueil pour sans-abri fera partie intégrante du projet, afin d’héberger ceux qui le souhaitent. "On espère pouvoir l’ouvrir courant 2025", précise Bruno Valkeneers.  

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