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Avec Portland, Enes Kanter affronte en finale de la conférence Ouest l'ogre de la NBA, Golden State, mais le pivot turc défie, hors des terrains, un adversaire beaucoup plus redoutable, le président de son pays, Recep Tayyip Erdogan.
Si Portland réussit l'exploit d'éliminer Golden State, double champion en titre et grand favori à sa propre succession, Kanter pourrait se retrouver au coeur d'une crise diplomatico-sportive sans précédent.
Il ne pourra pas participer à certains matches de la finale 2019, si son équipe devait affronter Toronto et donc se rendre au Canada.
Depuis 2017, Kanter n'a plus de passeport, après son annulation par Ankara, et il refuse de quitter les Etats-Unis, de peur d'être la cible d'une opération punitive des services secrets turcs ou d'être extradé vers la Turquie.
Dans son pays, pourtant fou de basket, il est considéré comme un dangereux criminel, au point de faire l'objet d'une notice rouge d'Interpol.
Sa famille a dû le renier publiquement et la télévision turque refuse de diffuser les matches de son équipe, les Trail Blazers.
Kanter, 26 ans, ne ménage pas ses critiques envers Recep Tayyip Erdogan qu'il présente régulièrement sur son compte Twitter et dans ses interviews comme un dictateur.
- "Bizarre et fou" -
Le pivot qui a rejoint Portland en février, est l'un des soutiens les plus fidèles du prédicateur Fethullah Gülen, accusé par Ankara d'avoir tenté un putsch en 2016 depuis les Etats-Unis où il s'est installé il y a maintenant vingt ans.
"C'est bizarre et fou à la fois, le gouvernement turc a peur d'un joueur de basket", a déclaré Kanter cette semaine au Washington Post.
"Je ne suis pourtant pas un politicien, ce n'est pas mon boulot, mais tout le monde a tellement peur d'Erdogan que je dois prendre mes responsabilités et défendre la liberté et les droits de l'Homme. Cela montre que la Turquie est une dictature", a-t-il poursuivi.
Né en Suisse où son père, un universitaire, faisait sa thèse, Kanter a grandi en Turquie et a été formé dans l'un des clubs références du basket turc, Fenerbahçe, avant de partir à 17 ans pour les Etats-Unis.
Après une année dans un lycée californien, les meilleures universités du pays se bousculent pour le recruter, mais la NCAA, qui chapeaute le prestigieux championnat universitaire de basket, le déclare inéligible en raison des salaires qu'il a touchés sous le maillot de Fenerbahçe.
- Jeûne du Ramadan -
Il reste une saison sans jouer, mais il est choisi par l'équipe d'Utah en 3e position de la Draft 2011, la bourse annuelle qui permet aux franchises NBA de recruter les meilleurs jeunes joueurs américains et étrangers.
Après quatre saisons à Salt Lake City (2011-15), deux à Oklahoma City (2015-17) et une et demie à New York (2017-19), Kanter n'est plus loin de la consécration ultime.
Il affronte l'une des meilleures équipes de l'histoire de la NBA en s'interdisant, Ramadan oblige, de boire et de manger durant la journée et même de prendre des médicaments pour soulager ses douleurs à une épaule.
"Je ne suis pas le seul à faire face à ça, des millions de musulmans à travers le monde vivent ça aussi", a-t-il balayé.
"Je veux montrer qu'on peut réussir lorsqu'on a des défis difficiles à relever, que ce soit faire le jeûne du Ramadan ou aller jusqu'au bout des play-offs NBA", a insisté Kanter qui se présente comme "le porte-voix de ceux qui, en Turquie, ne peuvent plus s'exprimer".
Si Portland a concédé jeudi une deuxième défaite consécutive contre Golden State (114-111) --la première équipe à quatre victoires se qualifiera pour la finale--, Kanter pourra peut-être se rendre au Canada en cas de qualifications de son équipe et de Toronto, mené 1 à 0 par Milwaukee dans l'autre finale de conférence.
Un sénateur américain, Ron Wyden, a adressé un courrier officiel au Premier ministre canadien Justin Trudeau lui demandant de "faciliter et sécuriser le voyage de Kanter vers le Canada et son retour ensuite aux Etats-Unis".