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Léa Tavares Mujinga a fait condamner la Belgique pour "crime contre l'humanité": "On a volé ma jeunesse"

La Belgique a été condamnée pour "crime contre l'humanité" par la Cour d'appel de Bruxelles, dans une décision historique rendue ce lundi. L'affaire concerne l'enlèvement systématique de milliers d'enfants métis durant l'époque coloniale. Parmi eux, Léa Tavares Mujinga. À 78 ans, elle témoigne des abus qu'elle a subis après avoir été arrachée à sa famille dès l'âge de deux ans.

Léa Tavares Mujinga, 78 ans, vient de faire condamner la Belgique pour "crime contre l'humanité". Ce lundi, la Cour d’appel de Bruxelles a condamné la Belgique pour avoir organisé, pendant l'époque coloniale, l'enlèvement à leurs mères et le placement forcé de cinq fillettes métisses avant l'indépendance de 1960, "un arrêt historique" selon les plaignantes.

Son père était européen, sa mère congolaise. À l'âge de 2 ans, des policiers ont débarqué chez elle. "Les policiers sont venus par ordre de l'État belge. Ils avaient déjà enlevé mon grand frère, un an avant moi. Ils sont arrivés pour m'enlever aussi pour m'envoyer à Katende dans un couvent des bonnes sœurs catholiques", raconte-t-elle sur le plateau du RTL info Signatures. 

Les conditions y sont difficiles. Elle vit avec de la nourriture minimale, un lit réduit à sa plus simple expression et pas de WC convenable : "Quand nous arrivons, les sœurs m'enlèvent ma petite robe, mes chaussures, me mettent une autre petite robe rêche et me laissent pieds nus. Pour dormir, il n'y a pas de matelas, il n'y a pas de draps, il n'y a pas de coussins, il n'y a rien... qu'une petite nappe usée sur un tout petit lit en bois avec une petite couverture comme on met derrière le coffre des voitures".

Léa Tavares Mujinga est encore marquée par la sous-nutrition.  "  La nourriture, il n'y a pas. Pour un petit enfant de 2 ans, 3 ans, il n'y a pas de lait. On ne connaît pas le pain, on ne connaît rien". C'est la vie qu'elle mène jusqu'à l'âge de 15 ans.

Pour que l'État belge nous explique pourquoi ils nous ont soustrait de nos familles

Son histoire n'est pas isolée. D'après le journal Le Soir, au moins 4000 enfants métis ont été soustraits de cette façon à leur famille. Pour quelle raison ? "Jusqu'aujourd'hui, on se le demande", répond-elle. "C'est la raison pour laquelle nous sommes partis en justice, pour que l'État belge nous explique pourquoi ils nous ont soustrait de nos familles, pour nous placer et être maltraités. Parce que nous étions métis, je crois que ce n'est rien que pour ça". Léa Tavares Mujinga, n'a jamais eu sa réponse.

A l'époque, la belgo-congolaise est dite de père inconnu et n'a ainsi même pas hérité de ses parents. L'État belge a fait d'elle et de nombreuses autres personnes, des étrangers. "De toutes les façons, quand nous sommes rentrés dans nos familles plus tard, nous avons été considérés comme des étrangers, jusqu'aujourd'hui".

Léa Tavares Mujinga n'a revu sa mère que deux fois étant petite. L'une à l'orphelinat et l'autre à huit ans. Son papa, elle n'a pu le voir pour la première fois, qu'à l'âge de 14 ans. Impossible pour eux de la reprendre à l'époque, sous peine d'être arrêtés eux-mêmes.

On a complètement volé ma jeunesse

Après l'indépendance du Congo en 61, à l'âge de 15 ans, elle est finalement relâchée de sa prison : "On a complètement volé ma jeunesse, mon adolescence, mes parents, ma famille, mes droits".

En 2018, le Premier ministre de l'époque, Charles Michel, a présenté officiellement ses excuses. Cette fois, c'est l'arrêt de la Cour d'appel qui condamne effectivement la Belgique. Léa Tavares Mujinga va toucher 50.000 euros en dommages, plus les intérêts sur 35 ans. Une consolation suffisante ? "Est-ce qu'une vie a un prix ?", lance-t-elle. Ce n'est pas une question d'argent.

"Nous voulions que le monde entier connaisse notre histoire", s'explique-t-elle. "Nous remercions tous les médias qui ont fait connaître notre histoire". Les excuses ne sont pas suffisantes, il faut aussi des explications : "Nous cherchons, jusqu'à aujourd'hui, nous demandons qu'on nous donne des documents dans les archives. Nous voulons connaître le pourquoi. Mais jusqu'à aujourd'hui, rien. Toujours impossible", termine-t-elle.

Lundi, la cour d'appel a relevé que les plaignantes avaient été "enlevées à leur mère respective, sans l'accord de celle-ci, avant l'âge de sept ans, par l'Etat belge en exécution d'un plan de recherche et d'enlèvement systématique" ciblant les enfants métis "uniquement en raison de leurs origines".

"Leur enlèvement est un acte inhumain et de persécution constitutif d'un crime contre l'humanité en vertu des principes de droit international reconnus par le Statut du Tribunal de Nuremberg, intégrés dans le droit international", est-il souligné. L'arrêt cite une résolution de l'ONU confirmant ces principes de droit adoptée en décembre 1946.
 

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