Accueil Actu Monde France

L'affaire du "petit Grégory" éclatait il y a 40 ans: pourquoi cette disparition fascine-t-elle toujours autant?

Un garçonnet retrouvé, pieds et poings liés dans la Vologne, les menaces d'un mystérieux "corbeau", un suspect assassiné, un juge qui se suicide: 40 ans d'enquête chaotique ont laissé entier le mystère du meurtre en 1984 en France du "petit Grégory". L'affaire continue à susciter intérêt et fascination.

Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, quatre ans, est retrouvé noyé et ligoté dans la Vologne, une rivière des Vosges, dans le nord-est de la France. "Dès le lendemain, le visage de ce petit ange souriant, qui est le petit Grégory, est diffusé partout. Évidemment, cette image d'un enfant retrouvé ligoté dans la Vologne, avec l'hypothèse d'un règlement de compte familial, ça émeut énormément de gens", se souvient Eric Darcourt-Lézat, ancien journaliste à l'AFP. 

Le père du petit garçon, aujourd'hui encore, évoque toujours aussi un "anéantissement total". "Je me demande comment nous avons survécu", confesse Jean-Marie Villemin, dans "Grégory" (éditions Les Arènes), un roman graphique sorti tout récemment, comme tant d'ouvrages consacrés à cette affaire tentaculaire.

"J'espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils.Voilà ma vengeance - Pauvre con", revendique à l'époque une lettre anonyme adressée au père par un "corbeau" qui harcèle depuis plusieurs années la famille de Jean-Marie Villemin, 26 ans, et son épouse Christine, 24 ans. L'enquête s'oriente vers le "clan" Villemin.  
 

Le 5 novembre 1984

Trois semaines après la mort de Grégory, Bernard Laroche, un cousin du père, est inculpé par Jean-Michel Lambert, juge d'instruction de 32 ans, grâce à une expertise graphologique mais aussi aux propos de sa belle-soeur Murielle Bolle qui, lors d'une garde à vue et devant le juge d'instruction, l'a accusé d'avoir enlevé l'enfant en sa présence. Le coupable semble découvert.

Plus tard, Murielle Bolle se rétracte. Bernard Laroche sera remis en liberté le 4 février 1985, malgré avis contraire du parquet.

Malgré la remise en liberté de Laroche, le père de Grégory pense tenir le meurtrier de son fils. Jean-Marie Villemin tue d'un coup de fusil Bernard Laroche. Il est incarcéré.

Une justice "lamentable"

Entre-temps, les enquêteurs s'étaient tournés vers la mère, Christine. Inculpée le 5 juillet 1985, son procès aux assises est ordonné à la fin 1986. Mais un non-lieu sera prononcé en sa faveur en 1993. "La justice a été complètement lamentable. Le juge d'instruction était incompétent", résume Thierry Moser, avocat historique de l'affaire, qui défend les époux Villemin depuis 39 ans. Le juge Jean-Michel Lambert ne peut répondre: il s'est donné la mort le 11 juillet 2017.  

Le 28 juin 2004, l'État est condamné à verser 35.000 euros à chacun des parents de Grégory pour dysfonctionnement de la justice. Christine Villemin avait déjà reçu 410.000 francs (environ 63.000 euros) en 1995 en réparation du préjudice résultant de son incarcération injustifiée, 10 ans plus tôt.

Les médias omniprésents

Un meurtre sordide, des corbeaux et la piste d'"une vengeance": il n'en faudra pas plus pour qu'en quelques heures, "presse parisienne, presse spécialisée sur les enquêtes de faits divers, presse générale, télés" et "de nombreux organes de presse et télévisions étrangères" déferlent à Lépanges-sur-Vologne, se souvient Eric Darcourt-Lézat. "Tout le monde est assailli et à domicile. Les gens, on va les voir, on leur demande ce qu'ils pensent. Est-ce qu'ils ont une hypothèse ? Est-ce qu'ils connaissent la famille ? Qu'est-ce qu'ils ont à en dire ?"


S'ouvre alors "une espèce de mine à ciel ouvert d'attaques ad hominem, de rumeurs inter familiales ou de voisinages, etc. qui nourrissent une certaine presse pas toujours très regardante et qui, assez souvent, déborde largement l'enquête par les hypothèses ou les soupçons adressés à l'endroit de tel ou tel", se souvient-il, avec une pointe d'amertume.

Les journalistes "arrivaient au domicile de telle ou telle personne, ils s'installaient et ils rentraient très vite dans leur quotidien familial, et souvent dans l'intimité, sans beaucoup de précaution", confie Eric Darcourt-Lézat, encore affligé par une certaine "arrogance".
A la fin des auditions à domicile, quand les gendarmes repartent "les journalistes vont interroger (à leur tour) les gens pour savoir ce qu'on leur a demandé, ce qu'ils ont dit, etc.".


La tension atteint son paroxysme aux funérailles de l'enfant: "Une brève altercation se produit entre des membres de la famille et certains photographes et cameramen."

De nouvelles pistes? 

En décembre 2008, de nouvelle recherche ADN ont lieu.La cour d'appel de Dijon, saisie par les époux Villemin, rouvre l'enquête pour une nouvelle recherche d'ADN. Une précédente analyse, en 2000-2001, n'avait rien donné. Le 24 avril 2013, le procureur général de Dijon présente les derniers résultats, non concluants. Le dossier n'est pas clos, dit-il, mais d'un point de vue scientifique, "l'espoir" de trouver le coupable "s'éloigne".
 

En 2017, l'affaire est relancée par des incohérences dans la chronologie des faits, révélées par le logiciel d'analyse criminelle Anacrim. Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, soupçonnés à leur tour d'être les "corbeaux", sont mis en examen pour "enlèvement et séquestration suivie de mort". Ils sont emprisonnés durant quatre jours. Murielle Bolle est également mise en examen le 29 juin pour "enlèvement suivi de mort". Emprisonnée, elle est libérée un mois plus tard, le 4 août.

Mais ces trois mises en examen seront annulées en mai 2018 pour des raisons de procédure. Et le 16 janvier 2020, la cour d'appel de Paris invalide la garde à vue de novembre 1984 de Murielle Bolle. Elle maintient toutefois au dossier ses déclarations faites auparavant devant les gendarmes, puis devant le juge Lambert, lorsqu'elle avait accusé Bernard Laroche. 

Trois ans plus tard, le feu vert est donné pour de nouvelles expertises ADN. La Cour d'appel de Dijon accepte "la quasi-totalité" des demandes de nouvelles expertises génétiques formulées par les époux Villemin. Aujourd'hui, l'enquête tente de rebondir. En mars dernier, de nouvelles expertises ont été ordonnées: sur des ADN mais aussi sur la "fréquence vocale", sorte "d'ADN de la voix", des appels téléphoniques du corbeau. Il s'agit de la sixième campagne d'analyses après celles de 2000, 2008, 2010, 2012 et 2021.

En tout, "17.765 pièces de procédure, 42 tomes, sept magistrats instructeurs" ont été collectées, résume Philippe Astruc, procureur général à Dijon, où l'enquête est encore instruite. "Malheureusement, 40 ans après, après beaucoup de drames supplémentaires, on ne connaît toujours pas la vérité", souligne Gérard Welzer, l'avocat de la famille Laroche.

 

À lire aussi

Sélectionné pour vous