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"Un métier atypique, avec des gens atypiques": chez Blaise Frères, on forge et on "redresse" à la main les lames d'escrime destinés aux champions du monde entier, avec une "petite effervescence" avant le rendez-vous des Jeux olympiques de Paris.
"C'est beaucoup de ressenti dans la fabrication de la lame d'escrime", explique à l'AFP le forgeron Benjamin Bourgeon en surveillant attentivement le martelage d'une tige incandescente dans l'atelier de cette entreprise familiale fondée en 1885 au Chambon-Feugerolles, dans la Loire.
A l'origine spécialisée dans les outils agricoles, elle s'est reconvertie dans les années 60 dans les sabres, les épées et les fleurets de compétition, un marché de niche dont elle est devenue numéro 1 mondial.
Aujourd'hui, ses 26 salariés fabriquent chaque année 120.000 lames estampillées par la Fédération internationale d’escrime (FIE), selon son patron, Daniel Cheynet.
Avant de les expédier aux quatre coins de la planète, il faut superviser une quarantaine d'opérations, dont "les plus nobles restent manuelles", souligne ce dernier en citant "le creusage par forgeage à chaud ou le dressage de ces pièces en +maraging+, un alliage conçu pour l'aéronautique".
David Leblanc, "dresseur de lames", est l'un des experts du processus.
Marteau à la main, il s'emploie à redresser une tige "brute de forge" pour corriger les déformations entraînées par le traitement thermique à 820 degrés. Sur son enclume, il lui redonne sa rectitude à petits coups de marteau minutieux: "il faut y aller très en douceur" et vérifier chaque frappe à l'oeil nu.
Avant polissage et lustrage, la lame est mise au contact d'une meule en résine, tandis qu'un flexomètre contrôle sa courbure. A proximité, un ouvrier crée le "talon" de l'arme (au-dessus de la poignée).
- 90% du marché mondial -
Début avril, le champion olympique Romain Cannone et Alexandre Bardenet, un autre des meilleures épéistes français, sont venus choisir sur place les lames qu'ils utiliseront aux JO 2024. Entre le 27 juillet et le 4 août, ils croiseront le fer dans le cadre somptueux du Grand Palais avec des adversaires qui, eux aussi, auront sans doute des armes fabriquées dans la Loire.
"Outre leur résistance, les lames "BF" se caractérisent par leur nervosité, c'est-à-dire la capacité à revenir rapidement dans l'axe après une flexion", note Gilles Martinage, qui sera l'armurier de l'Équipe de France, pour expliquer leur succès.
Année olympique ou pas, le carnet de commande de la forge classée "Entreprise du patrimoine vivant" est plein, avec, actuellement, "des délais de livraison à fin 2025". Le chiffre d'affaires est passé de 1,6 à 7 millions d'euros depuis 2006, et sa part de marché "dépasse 90%" au niveau mondial, énumère Daniel Cheynet.
Mais il "ne s'en réjouit pas" car cette dynamique est en partie liée à la situation en Ukraine: son principal concurrent, la société StM, de Kharkiv, a été frappé par les sanctions économiques de Moscou puis par des bombardements de l'armée russe.
Outre la Fédération française d'escrime (FFE), Blaise Frères livre ses lames haut de gamme -pesant de 160 grammes pour un sabre à 190 grammes pour une épée- à des distributeurs spécialisés, internationaux pour la plupart, tels qu’Allstar, Uhlmann, Absolute, PBT ou Tokyo Fencing.
- Boucher et policier -
La pratique de l’escrime recule en France, malgré les 123 médailles récoltées dans l'histoire des Jeux olympiques, la plus belle moisson de toutes les disciplines.
Mais, selon Daniel Cheynet, elle progresse dans le reste du monde, notamment en Asie "où les parents de jeunes escrimeurs recherchent les meilleurs produits pour leurs enfants".
Le chef d'entreprise a racheté en 2008 la forge aux descendants de la famille Blaise, avant de l'installer dans des locaux modernes, près de l'atelier d'origine. Son fils Hugo seconde un des descendants des fondateurs qui travaille comme responsable de la production.
Pour trouver des employés "dotés d'une bonne dextérité manuelle et d'une bonne vue", mais aussi d'un "goût pour le travail en atelier", la direction mise sur la reconversion : ses effectifs comptent d'anciens boucher, comptable, palefrenier, maréchal-ferrant ou policier.
L'entreprise a conçu ses propres machines pour "réduire la pénibilité" et le personnel change de poste pour "éviter la lassitude", explique son patron.
Mais les visiteurs resteront à l'écart de l’espace robotisé "pour des raisons de confidentialité", secret de fabrication oblige.