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La détention provisoire d'un policier qui a reconnu avoir vendu sur Telegram des fichiers confidentiels a été prolongée par une juge parisienne et pourrait dépasser un an, une durée rarissime pour un membre des forces de l'ordre.
Mercredi, une juge des libertés et de la détention parisienne a prolongé le mandat de dépôt criminel de K. C., 32 ans, mis en examen et incarcéré depuis le 5 mai 2023 pour au moins 16 infractions dont faux en écriture publique, corruption, escroquerie, violation du secret professionnel ou accès illégal à des systèmes de données étatiques.
L'affaire commence début 2023 après un signalement de la plateforme Pharos concernant un compte Telegram qui vend des faux documents d'identité ou des consultations de fichiers de police.
Après une rapide enquête confiée à la police des polices (IGPN) et à l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), M. A., soupçonné d'être cet administrateur du compte, est interpellé le 2 mai 2023.
Celui qui conteste la plupart des faits et qui est toujours détenu a obtenu récemment l'annulation d'une partie de la procédure par la cour d'appel de Paris, concernant des données obtenues via SnapChat, selon son avocat Me Philippe Ohayon. Il a fait appel de son maintien en détention que "plus rien ne justifie".
- Quelques milliers d'euros -
K. C. est interpellé le lendemain. Jusqu'alors, il officiait le jour au commissariat du XIIe arrondissement parisien.
La nuit, ce brigadier consultait des canaux Telegram. Dans l'un d'entre eux, un administrateur annonce chercher un fonctionnaire de police capable de consulter des fichiers.
A l'audience publique mercredi, l'avocate de K. C., Me Roxane Best, a souligné les difficultés alors rencontrées par son client: "Il vient d'avoir un troisième enfant, un prêt pour l'achat de la maison, une épouse en congé parental". Et d'après l'enquête et ses propres aveux, une sévère addiction aux jeux.
Il accepte donc contre rémunération d'éplucher divers fichiers: immatriculation des véhicules (SIV), personnes recherchées (FPR), antécédents judiciaires (TAJ)...
Ses consultations, multipliées par sept entre 2020 et 2022, lui rapportent environ 10.000 euros, et clignotent dans plusieurs procédures judiciaires, comme à Nanterre, dans la messagerie Signal d'un protagoniste-clé d'un trafic de stupéfiants international, ou à Marseille.
Après son incarcération en mai 2023, K. C. dépose une demande visant à un placement sous bracelet électronique. Rejet. Puis une demande de mise en liberté. Refus.
A l'audience à laquelle l'AFP assistait, la procureure a demandé qu'il reste en prison, "pour empêcher la concertation frauduleuse avec les complices" - l'un d'entre eux reste à identifier -, mais aussi pour "prévenir le renouvellement de l'infraction" ainsi que "mettre fin au trouble" provoqué par ces "faits qui portent atteinte à la confiance en l'Etat".
- "Régime spécial" -
Me Roxane Best a évoqué de son côté sa "colère" et son "incompréhension" : "On se heurte à un mur dans cette instruction. Aucune demande n'est acceptée, alors que dès la garde à vue", son client "reconnaît tout", y compris "la gravité des faits".
L'avocate a balayé le risque d'une concertation, alors que "tout ce qu'il a dit a été retrouvé dans son téléphone ou son ordinateur", tout autant que celui d'une nouvelle infraction : "Il est suspendu, il va être radié, il sait que c'est fini. Comment va-t-il faire" sans accès aux fichiers de police ?
Au moment où les autorités s'alarment de la corruption de "basse intensité" dans la police française, l'avocate s'est étonnée du "régime spécial" d'une détention exceptionnellement longue pour ce type de clients, en comparaison par exemple des quatre mois et demi à l'écart du policier mis en examen pour l'homicide de Nahel en juin 2023.
Cet été, une telle mesure concernant un policier accusé de violences à Marseille avait déclenché une fronde inédite dans certains commissariats. Le fonctionnaire avait été libéré après 40 jours.
K. C., vêtu d'un jean, d'une micro-doudoune noire, barbe bien taillée sur un visage assez sévère, a lui répété mercredi ses "regrets" et son absence de "discernement".
"Ca fait un an que je réfléchis à ce que j'ai fait", a-t-il souligné, avant de repartir à la prison de la Santé.
Son avocate a fait appel.