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Philippe Collin, le conteur d'Histoire

Au départ, il y a un pari osé -10 heures de documentaires sur Léon Blum ou Pétain- et, à l'arrivée, un succès inespéré. Avec 26 millions d'écoutes, les podcasts de Philippe Collin sur France Inter font figure d'ovni à l'ère d'Instagram ou X.

Les ingrédients? Une mise en onde léchée, des épisodes ultra-scénarisés qui s'achèvent sur un climax "netflixien" et une narration singulière qui s'autorise à parler directement à l'auditeur en lançant des "retenez-bien ceci", "récapitulons" ou en annonçant "l'horizon de notre prochain épisode".

"L’Histoire, pour tout le monde, c’est très loin. C'était il y a 20, 30, 40 ans, au collège ou au lycée. Si tu n'aides par l'auditeur, ce n'est pas possible", théorise pour l'AFP Philippe Collin. "Donc j'assume de le prendre par la main, de faire des petits résumés, de dire: attention, ça c'est important".

La formule marche. D'abord cantonnés à Internet, ses podcasts "Face à l'Histoire", nourris d'interviews d'universitaires et d'archives, ont fini par migrer vers l'antenne d'Inter, portés par le bouche-à-oreille, et essaiment désormais en pièces de théâtre et documentaires télé.

"On avait cette intuition que les Français aiment l'histoire politique et qu'ils se sont habitués, par le biais des séries, à avoir des récits sur le temps long", détaille le bientôt cinquantenaire, débarqué un peu par hasard sur la station à la fin des années 1990.

Prochaine étape, une série dédiée au capitaine Alfred Dreyfus mise en ligne début décembre, nouveau volet de cette plongée dans les heures sombres de la France.

Etrenné en 2021 avec Napoléon, son podcast a sondé tour à tour la montée des périls dans les années 1930, la collaboration nazie ou l'ascension de l'extrême droite après-guerre, en explorant les destins de Blum, Pétain, Louis-Ferdinand Céline ou Jean-Marie Le Pen.

L'ancien étudiant en histoire passionné de foot, qui s'est fait connaître sur Inter avec des émissions foutraques ou décalées ("Panique au Mongin Palace", "L'oeil du Tigre" sur le sport), assume de cibler le grand public mais ne veut renoncer en rien au "savoir savant".

"Il faut trouver le bon curseur: raconter l'Histoire comme un roman tout en restant sérieux et ultra-documenté", dit-il.

Pour y parvenir, Collin et son équipe s'entourent pour chaque série d'une dizaine d'historiens, décortiquent les archives et planchent entre six et huit mois sur chaque podcast.

"L'université produit du savoir de haut niveau qui a du mal à aller vers le grand public. Nous, on va absorber ce savoir et le restituer en dix heures, le temps d'un trajet de vacances Paris-La Rochelle aller-retour en voiture", s'amuse-t-il, ajoutant fièrement: "Et c'est totalement gratuit".

- "Blum is back! " -

Le plus grand de ses succès fut, paradoxalement, un des plus compliqués à faire aboutir.

Quand Philippe Collin propose de passer à la loupe la vie de Léon Blum (1872-1950), la direction de France inter est d'abord réservée à l'idée d'un long compagnonnage avec cet ancien président du Conseil de la IIIe République, tombé peu à peu dans l'oubli.

Collin est, lui, persuadé que beaucoup reste à dire sur l'homme du Front populaire, féministe méconnu, républicain acharné, déporté à Buchenwald et victime d'attaques antisémites en France.

Au final, le podcast sur cette "vie héroïque" sera de loin le plus écouté avec plus de 3,1 millions d'auditeurs.

"+Blum is back+! On l'a déterré", jubile Collin, qui lui avait consacré son premier exposé d'étudiant et ne verrait pas d'un mauvais oeil la panthéonisation de cet homme, "garde-fou contre la connerie".

Après avoir également remis dans la lumière le général Leclerc, Collin promet de mettre davantage en avant les femmes qui ont fait l'Histoire, même s'il a consacré un podcast aux "Résistantes" pendant l'occupation nazie.

Les périodes où la République est, selon son expression, "tombée en mille morceaux" obsèdent en tout cas ce petit-fils de prisonniers de guerre, dont le premier roman à succès, "Le Barman du Ritz" (2024), se noue à Paris sous l'Occupation.

"On est tous liés à cette période", analyse-t-il, ajoutant: "C'est impressionnant comme ça parle du présent".

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