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Le directeur du festival d'Avignon, Tiago Rodrigues, dévoile dimanche sa nouvelle création, "Hécube, pas Hécube", un double jeu entre fiction et réalité mêlant textes du théâtre grec et enquête judiciaire, avec des acteurs de la Comédie-Française.
C'est un "scandale de maltraitance d'enfants autistes dans une institution suisse" qui est à l'origine de ce projet. "Je répétais une pièce à Genève, quand ce scandale a surgi, et j'ai compris qu'une des mères des enfants maltraités était une actrice avec laquelle je travaillais", raconte à l'AFP le metteur en scène portugais.
Il s'agit de sa cinquième pièce présentée au festival, la première en tant que directeur de ce prestigieux rendez-vous démarré samedi.
"J'étais très impressionné par la façon dont, dans nos sociétés, où (...) il y a quand même l'accès aux biens et droits essentiels pour la majorité de la population, nous pouvons quand même, collectivement, être tellement négligents envers les plus vulnérables. Et d'un autre côté, par la force de cette comédienne", confie-t-il.
Quand la Comédie-Française l'invite à faire une pièce, il se met en quête d'un personnage de femme qui doit traverser une double souffrance, "dans sa vie" et "dans une pièce". Tiago Rodrigues pense alors à l'auteur grec classique Euripide et son personnage d'Hécube.
Reine de Troie, devenue esclave après la chute de la ville, celle-ci découvre que son plus jeune fils, qu'elle croyait en sécurité auprès du roi des Thraces, a été assassiné par ce dernier et réclame alors justice et vengeance.
Nadia (Elsa Lepoivre) joue cette femme, à la fois actrice de théâtre qui répète "Hécube" et mère en quête de justice pour l'assassinat de son enfant, en procès au tribunal.
Dans l'écrin de la Carrière de Boulbon, haut-lieu du festival rouvert l'an dernier après sept ans de fermeture, les six autres comédiens du Français - Denis Podalydès, Loïc Corbery, Éric Génovèse, Ellissa Alloula, Séphora Pondi et Gaël Kamilindi - interprètent soit des personnages du tragédien grec, soit des personnages qui surgissent dans l'enquête judiciaire.
- "Droit humanitaire" -
La pièce "joue sur ce labyrinthe entre fiction et réalité et essaie de partager cette confusion, riche et poétique, avec le public", souligne Tiago Rodrigues. Parfois même en brouillant les lignes et en proposant aux spectateurs, à certains moments, de ne pas savoir à laquelle des deux histoires tel ou tel personnage appartient.
Denis Podalydès est ainsi à la fois Agamemnon et un procureur. "A partir du moment où il y a deux textes en un, deux rôles en un, pour n'importe quel acteur, c'est plaisant", dit-il à l'AFP lors d'une répétition.
Il invite à "se laisser porter" par "le rythme du dialogue, les mots" et "par la logique d'une langue", tantôt celle du récit presque "cinématographique" du dramaturge portugais, tantôt celle de la tragédie grecque.
Tiago Rodrigues formule le voeu que "l'enquête judiciaire illumine la puissance de l'écriture géniale d'Euripide et montre comme elle est proche de nous aujourd'hui".
L'ancien directeur du Teatro Nacional Dona Maria II de Lisbonne aime s'inspirer ou réécrire les auteurs classiques ("Antoine et Cléopâtre" en 2015, d'après Shakespeare) mais aussi rendre hommage au théâtre dans tous ses aspects (la souffleuse de théâtre, dans "Sopro" en 2017).
"+Hécube, pas Hécube+ est aussi une pièce sur la force de la loi dans toutes les circonstances. Hécube, vaincue, nous dit que, même en temps de guerre, il y a des gestes qu'on peut considérer comme des crimes", déroule-t-il.
Denis Podalydès s'estime, lui, chanceux d'avoir pu participer à cette pièce. "Nous, troupe de la Comédie-Française, qui travaillons beaucoup entre nous, c'est aussi une façon d'ouvrir grand les fenêtres".