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Salles pleines, larmes et applaudissements: en Argentine, le documentaire "Traslados" atteste de l'émotion intacte d'une "société blessée" par la dictature (1976-1983), en retraçant l'un de ses épisodes les plus glaçants, les "vols de la mort".
"Traslados" (Transferts) est l'histoire d'un euphémisme sinistre. C'est l'annonce qu'on faisait au groupe de 12 à 15 détenus qui, un soir par semaine, était extrait de Centres de détention clandestins (et de torture) pour être "transférés". Vers une autre prison, loin, vers le sud, espéraient beaucoup. Certains réclamaient même d'en être.
Mais en réalité, après injection d'un anesthésiant (Pentothal), ils étaient largués en mer en altitude, endormis et vivants, au large de la côte Atlantique ou du vaste estuaire du Rio de la Plata, pour disparaître à jamais.
Mi-documentaire, mi-thriller d'investigation, "Traslados" retrace méticuleusement et "met sur la table toutes les pièces du puzzle, et ce qui s'est su peu à peu, depuis 1976 jusqu'à nos jours, sur les vols de la mort", explique à l'AFP son réalisateur Nicolas Gil Lavedra. Qui se trouve être le fils d'un magistrat du procès de la junte, en 1985.
Car -c'est la partie thriller du docu-fiction- il s'en fallut de peu pour que rien ne puisse jamais prouver ces "vols de la mort", dont le but était précisément de faire disparaître en masse, sans aucune trace.
Rares furent les corps rejetés par l'océan -sur les côtes d'Uruguay, dont les documents restèrent longtemps classifiés. Et il fallut des années -les progrès de la génétique, des bribes de témoignages, un brin de chance- pour identifier en 2005 des corps retrouvés sur le littoral argentin en 1977, dont celui de la religieuse française Léonie Duquet. Et prouver le lien avec des plans de vols, permettant des inculpations puis de premiers procès de ces "vols", en 2012.
Les autres, des milliers peut-être (le nombre de victimes ne fut jamais établi, mais il y eut des centaines de vols), ne furent jamais retrouvés après avoir été "transférés".
- Espoirs d'autres "témoins" -
Mêlant témoignages de survivants -dont le Nobel de la Paix 1980 Adolfo Perez Esquivel, qui fut embarqué dans un vol de la mort puis ramené, après contrordre- de témoins, d'acteurs, archives et reconstitutions romancées, le film construit pièce par pièce la mécanique des "vols de la mort" et la quête des Mères de disparus.
Le film "m'a touché d'une façon très spéciale", raconte ému à l'AFP Viktor Fuks, 74 ans, à la sortie d'une projection au centre de Buenos Aires.
"Il y avait beaucoup d'amis, de compagnons, de gens qui disparaissaient à cette époque (...) et psychologiquement, la page ne se tourne jamais", assure celui dont les enfants, nés pendant son exil en Espagne, "savent peu" de cette époque. D'où "l'importance de diffuser" ce documentaire.
"Cette société reste très blessée, très blessée", médite Rodolfo Albarracin, psychologue retraité de 70 ans, qui souhaite au documentaire "une très large diffusion pour la santé mentale".
"Traslados" sera diffusé (hors compétition) au Festival de San Sebastian le lundi 24 septembre lors d'une journée spéciale de "Solidarité avec le cinéma argentin". Un coup de main, de réseau, pour les professionnels argentins du cinéma, explique le Festival, étant donné "sa situation exceptionnelle (...) avec la paralysie des projets et le manque de soutien du gouvernement" de Javier Milei, déterminé à assécher la dépense publique.
En Argentine, où il est diffusé depuis quelques semaines avant sa sortie internationale à San Sebastian, "que les salles se remplissent pour un documentaire, les échanges avec le public après la projection, pour un réalisateur c'est très émouvant. Ca donne de l'espoir sur notre volonté de construire de la mémoire", explique Nicolas Gil Lavedra.
Mais l'enquête narrée dans le film n'est pas finie pour des milliers de disparus, rappelle-t-il. "J'espère que des gens se manifesteront, qu'il y aura davantage de témoins, car tout ce qui reste, ce sont des témoins oculaires. J'espère qu'ils sortiront".