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"C'est pas les femmes qui ont du mal à parler, c'est le monde qui a du mal à entendre": au 3919, on aide depuis 26 ans les femmes à "briser le silence" et déconstruire les mécanismes de violences, un travail minutieux chamboulé ces derniers mois par l'effet #Metoo.
"Violences femmes infos, bonjour. Qu'est-ce qui vous arrive?" D'une voix douce, Caroline (prénom modifié) accueille une femme en pleurs à l'autre bout du fil.
Il est 11 heures dans les locaux parisiens de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui gère cette ligne, et depuis l'ouverture à 9 heures, "c'est intense, ça n'arrête pas de sonner", souffle Anna, casque avec micro sur la tête, chargée du pré-accueil, c'est-à-dire la première étape avant le transfert aux écoutantes, dont Caroline ce jour-là.
Lancé en 1992 et devenu un "numéro court" en 2014, le service d'écoute national anonyme et gratuit pour les femmes victimes de violences conjugales prend en charge plus de 50.000 appels par an. Un chiffre en train d'exploser depuis la déferlante de témoignages #Metoo, débutée il y a tout juste un an.
Rompu aux "pics d'appels" pendant les scandales sexuels médiatiques, les lundis - lendemains de weekend, propices aux violences - ou encore lors des Journées des droits des femmes ou pour l'élimination de la violence, le personnel du 3919 s'est rapidement avoué "débordé" par l'effet durable de l'affaire Weinstein.
En octobre, novembre et décembre 2017, le numéro a reçu plus de 1.000 appels supplémentaires par mois, soit plus de 30 par jours. "Pour 2018, les chiffres du premier semestre montrent déjà une hausse d'activité de 18% par rapport au premier trimestre 2017", explique à l'AFP la présidente de la FNSF, Françoise Brié.
- "Je ne sais pas si c'est de l'amour" -
"La libération de la parole, c'est tous les jours ici. Briser le silence est une première étape importante", détaille Caroline, 62 ans, qui, confidentialité oblige, ne dévoilera rien de la conversation d'une trentaine de minutes qu'elle vient d'avoir avec une femme battue.
Psychologues, assistantes sociales, conseillères conjugales, juristes... 26 personnes (17 équivalent temps plein) se relaient du lundi au vendredi jusqu'à 22h et 18h le week-end pour orienter et informer les victimes. Dans des bureaux seules ou à deux, elles tentent de "créer un espace sécurisant pour poser les choses, travailler sur les mécanismes de la violence et rappeler aux femmes qu'elles ont des droits", décrit-elle.
S'il n'y a pas un "profil type" d'appelante et qu'il faut faire du "sur-mesure", Émilie, écoutante depuis 4 ans, estime que "de plus en plus de jeunes femmes de 18 à 22 ans" ont néanmoins composé ce numéro ces derniers mois.
"Avant, on entendait beaucoup +on est en conflit+, +on se dispute+, +je ne sais pas si c'est de l'amour+. Depuis #Metoo, j'ai l'impression que les femmes minimisent moins ce qu'elles subissent", analyse-t-elle. "Ce n'est pas elles qui ont peur de parler, c'est le monde qui a du mal à les entendre".
"Ce mouvement, c'est le courage de certaines qui entraîne les autres. Celles qui osent parler permettent de renforcer la parole de celles qui se sont tues ou pensaient se taire à jamais", dit de son côté Caroline, constatant après 26 années d'écoute qu'"il y a encore des régressions et trop de situations d'inégalités en 2018".
Revers de la médaille, il est bien difficile de répondre à toutes. Et s'il y a les nombreux appels auxquels le 3919 donne suite, il y a aussi tous ceux qui sonnent dans le vide, faute de personnel, environ un sur quatre (25%), selon Françoise Brié.
"Ces femmes-là, on sait qu'elles ne rappelleront probablement pas", se désole-t-elle.
Récemment, le gouvernement a décidé d'accorder une rallonge de 120.000 euros au 3919, qui perçoit près d'1,3 million d'euros de subvention annuelle, ce qui devrait faciliter l'embauche de trois postes supplémentaires à temps plein et rendre le travail "plus confortable", ajoute Mme Brié.