Accueil Actu Décryptage RTL info

Plusieurs pays de l'OTAN autorisent l'Ukraine à frapper la Russie avec leurs armes: quelles conséquences sur le conflit actuel? (décryptage)

La guerre entre l'Ukraine et la Russie pourrait prendre un nouveau tournant, après que plusieurs pays de l'OTAN ont autorisé l'Ukraine à utiliser des armes fournies pour se défendre pour frapper des cibles sur le sol russe. Un "pas en avant" salué par le président ukrainien Volodymyr Zelenski. Mais cette décision pourrait-elle avoir des conséquences sur le conflit actuel? Des changements sont-ils à prévoir? Qu'en est-il des autres pays de l'OTAN, dont la Belgique fait partie? Décryptage. 

Les pays occidentaux ont affiché un soutien grandissant à l'Ukraine ce vendredi. Alors que Joe Biden s'y refusait jusqu'ici... Il a finalement donné son feu vert pour que l'Ukraine frappe - sous certaines conditions - des cibles sur le sol russe, dans la région de Kharkiv. Cela, malgré les menaces d'escalade évoquées par Moscou, pour permettre à l'armée de Zelenski de "riposter lorsque les forces russes les attaquent ou se préparent à les attaquer." 

Attention, les Etats-Unis continuent cependant de s'opposer à des frappes ukrainiennes en profondeur sur le territoire russe. Ils n'autorisent pas non plus les Ukrainiens à frapper la Russie avec leurs ATACMS, de puissants missiles-roquettes. 

De son côté, l'Allemagne a estimé que Kiev pouvait utiliser ses armes contre des cibles militaires en Russie, notamment en réponse à l'offensive lancée début mai par Moscou et qui se poursuit dans la région de Kharkiv. Le porte-parole du chancelier Olaf Scholz, Steffen Hebestreit, a évoqué le "droit" de l'Ukraine de se défendre avec les armes dont elle dispose, "y compris celles que nous avons livrées".

La France et le Royaume-Uni manifestent aussi leur soutien au pays de Volodymyr Zelenski, notamment en fournissant des missiles Storm Shadow sans aucune restriction, comme le fait le Royaume-Uni. Les Pays-Bas et la Pologne aussi fournissent des armes à l'Ukraine sans restriction sur leur usage. 

On ne se bat pas contre la Russie. On défend l'Ukraine, et ce n'est pas la même chose

D'autres pays de l'OTAN restent cependant prudents. C'est le cas de l'Italie. Le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani a affirmé que "pour l'Italie, il est impossible d'utiliser nos armes en dehors de l'Ukraine". "On ne se bat pas contre la Russie. On défend l'Ukraine, et ce n'est pas la même chose", a-t-il ajouté.

La position de la Belgique à propos des armes livrées aux forces ukrainiennes n'a pas changé: elles ne peuvent pas servir à frapper le sol russe, indique le cabinet de la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder.

Quel est le but de ces autorisations?

Volodymyr Zelenski a salué "un pas en avant" de ses partenaires, mais que représentent vraiment ces décisions? Vont-elles permettre à l'Ukraine de gagner la guerre? Nous avons posé la question à Alain de Neve, politologue et spécialiste en armement et stratégie militaire. "On sent que les positions bougent tout doucement, progressivement", nous dit-il.

Plusieurs "ballons d'essai" ont été envoyés à l'Ukraine. Mais compte tenu de la situation actuelle dans le pays, des difficultés à recevoir de l'armement et de la pression exercée par la Russie sur la région de Kharkiv, "il fallait trouver quelque chose pour que l'Occident manifeste sa solidarité continue envers l'Ukraine. Sans répondre de manière immédiate avec du matériel", développe Alain de Neve. 

C'est avant tout symbolique

C'est pour cela que plusieurs pays ont décidé de permettre à l'Ukraine d'utiliser les armements qui lui sont livrés pour atteindre des cibles sur le territoire russe. "Sur le principe, c'est un soutien supplémentaire à l'Ukraine. C'est avant tout symbolique. Cette autorisation ne va pas permettre à l’Ukraine de revenir en arrière au niveau de revers subis depuis janvier."

Il faut savoir que l'Ukraine utilisait déjà cette possibilité de frapper le sol russe, mais avec ses propres moyens. Mais maintenant que plusieurs pays l'autorisent officiellement, cela ne peut pas se faire n'importe comment. "En France, par exemple, le Président a insisté sur le fait que les cibles sur le territoire russe doivent être des cibles militaires, pas des civils", précise le politologue. "On pourrait se demander si des infrastructures de production d'armes pourraient être dans les cibles autorités ou pas... On ne sait pas", ajoute-t-il.

En Allemagne, ils donnent leur autorisation, mais les armes fournies à l'Ukraine ne permettent pas d'atteindre le territoire russe. Et les Etats-Unis n'autorisent pas l'armée ukrainienne à utiliser les ATACMS. 

Quelle(s) conséquence(s) en Belgique?

Même si on a l'impression que cela permet quelques avancées, "le sujet est loin d'être clos", affirme Alain de Neve. Certains pays de l'OTAN ne sont, en effet, pas favorables à cette autorisation. Mais chaque membre est libre de prendre sa décision. Et la Belgique est claire sur la question: le matériel livré à l'Ukraine ne peut pas servir à frapper le sol russe. 

"Si les F-16 sont livrés avant la fin de l'année à l'Ukraine, il est exclu qu'ils puissent aller dans l'espace aérien russe, ils ne pourraient pas quitter l'espace aérien ukrainien. Mais ils pourraient aider à transporter des munitions, notamment des missiles de croisières qui, eux, pourraient atteindre le sol russe et les cibles militaires sur le territoire russe. Les F-16 pourraient permettre d'allonger la portée de ces missiles... Mais comment interpréter cela? C'est une appréciation purement politique", lance notre interlocuteur.

Quel impact sur le conflit?

Au niveau international, on peut se demander si ces autorisations des pays de l'OTAN pourraient avoir un impact sur le conflit actuel. Mais la réponse d'Olivier Corten, professeur de droit international à l'ULB, est formelle: "Ça ne changera rien." L'attitude de l'Ukraine est de la légitime défense, face à l'agresseur, qui est donc la Russie. C'est un principe prévu dans la charte des Nations Unies. 

"Si c'est de la légitime défense, l'Ukraine peut soit se défendre seule, soit avec l'aide d'autres états. Et ils peuvent armer l'Ukraine, envoyer des soldats... Ils peuvent même intervenir eux-mêmes dans le conflit en légitime défense. Cela s'appelle la légitime défense collective", détaille le professeur en droit international.

Juridiquement, cela ne donne (en principe) aucun droit supplémentaire à la Russie. Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne fera rien. "L'agresseur reste un agresseur. Et il ne peut pas aller bombarder ailleurs... Mais la question, c'est de savoir jusqu'où va aller la Russie", poursuit Olivier Corten.

Et après? Comment va réagir la Russie?

Vladimir Poutine s'est toujours montré très prudent. Il n'a jamais fait de déclarations ou de menaces avant les agissements des autres pays. "Il en va de sa crédibilité. La logique de Poutine, c'est d'attendre de voir comment évoluent les positions des partenaires de l'Ukraine. C'est toujours après coup, jamais avant. Il attend toujours les déclarations fermes des uns et des autres pour réagir", souligne Alain de Neve.

Et dans ce cas-ci, la situation est compliquée. Le fait que certains pays de l'OTAN sont favorables aux frappes en Russie, et d'autres pas, "ça rend le calcul plus complexe", note-t-il. "Si les Russes veulent aller en escalade, ils vont s'en prendre à qui? Compliqué de savoir."

Si les Russes veulent gagner du terrain ou des positions, il faut qu'ils le fassent maintenant

Une extension du conflit est donc peu probable. Mais on s'attend, dans les prochains jours, à ce que le président russe ou ses porte-paroles s'expriment. "On espère que cette autorisation, ce feu vert va passer. On peut s'attendre à une volonté de la Russie d'augmenter la pression sur l'Ukraine, en attendant que cela ne prenne corps. Mais, et pardonnez-moi l'expression, la fenêtre de tir pour les Russes se situent maintenant. Si les Russes veulent gagner du terrain ou des positions, il faut qu'ils le fassent maintenant avant d'autres potentielles livraisons de matériel militaire", conclut le spécialiste en armement et stratégie militaire. 

Dans tous les cas, on peut difficilement imaginer un effondrement complet de l'un ou l'autre clan. Mais il n'est pas impossible de revenir à une situation de conflit gelé. 

À lire aussi

Sélectionné pour vous