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Ce lundi 20 mai, Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale, a requis un mandat d'arrêt international à l'encontre des dirigeant israéliens et ceux du Hamas pour des crimes contre l'humanité commis durant l'attaque du 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza qu'elle a déclenchée. Si aucun mandat d'arrêt n'a été délivré, les conséquences d'une telle requête sont pourtant loin d'être anodines.
Tout d'abord, la Cour pénale internationale (CPI), c'est quoi ? Il s'agit d'une institution judiciaire internationale basée à La Haye, aux Pays-Bas. Créée par le Statut de Rome en 1998, et entrée en fonction en 2002, elle est chargée de poursuivre et de juger les individus accusés de crimes les plus graves touchant à la communauté internationales, tels que les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et enfin le crime d'agression.
Cette juridiction vise à mettre fin à l'impunité des auteurs de ces crimes et à rendre justice aux victimes. À ce jour, 124 pays sont membres de la CPI, ayant ratifié le Statut de Rome. Ces États sont tenus de coopérer pleinement avec la juridiction, ce qui implique l'obligation d'arrêter et de remettre les individus recherchés par la Cour pénale internationale.
Obligation ne rime pas toujours avec arrestation
Suite à la requête du procureur de la CPI, que risqueraient les dirigeants israéliens et du Hamas si le mandat d'arrêt devait être confirmé par les juges de la CPI ? "Rien, tant qu'ils restent chez eux" explique Tanguy De Wilde, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l'UCL. Ce qui ne serait pas forcément le cas s'ils décidaient de se rendre à l'étranger, surtout dans l'un des États parties de Statut de Rome. "Dans ce cas, ils risqueraient d'être arrêtés. Je dis bien "risqueraient" car il y a quand même une difficulté diplomatique et aussi une question d'immunité. On ne connaît pas la manière avec laquelle un appareil judiciaire va faire arrêter un individu. C'est un risque, mais ce n'est pas automatique." Le fait qu'il y ait un mandat d'arrêt n'est donc pas une garantie qu'il y ait une arrestation.
Mais alors, qu'en est-il de l'obligation pour les États liés aux Statut de Rome d'arrêter et de remettre les individus recherchés par la Cour ? "Il y a une différence entre une obligation et l'effectivité de cette obligation. Quoiqu'il en soit, ceux qui feraient l'objet d'un mandat d'arrêt ne prendraient pas le risque de voyager à l'étranger. On l'a vu avec Poutine qui ne s'est pas rendu en Afrique du Sud pour le sommet des BRICS, il a envoyé son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov. Dès lors, le seul moyen de se rendre à l'étranger pour un dirigeant soumis à un mandat d'arrêt serait de se rendre dans "un pays allié, ou bien un pays qui a ratifié le Statut de Rome, mais dont les dirigeants ne sont pas des démocrates et où l'État de droit n'est pas forcément respecté."
Une portée essentiellement symbolique
"La symbolique est importante, à partir du moment où il y a une certaine forme de stigmatisation pour les dirigeants incriminés" détaille Tanguy De Wilde. "Ils sont blâmés et il y a une honte qui s'abat sur eux et sur les États qui les protégeraient. Ils deviennent ainsi des parias aux yeux de la communauté internationale, ou plutôt des 124 États parties du Statut de Rome. Mais pas forcément pour les autres pays." Les dirigeants israéliens et du Hamas visé par cette demande de mandat d'arrêt n'ont pas tardé à réagir à cette requête. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qualifiant celle-ci de "scandaleuse", là où le Hamas a déclaré "condamner fermement" celle-ci. "Les réactions de ceux qui sont stigmatisés montre l'importance que cette action a. S'ils s'en moquaient complétement, ils ne se seraient pas prononcés, ni l'un ni l'autre" indique le professeur de l'UCL, pour qui l'efficacité réelle de la CPI en matière de poursuites et de condamnation des chefs d'État intervient surtout après les conflits, soit quand les régimes eux-mêmes transfèrent les criminels, soit quand les États qui les abritent les transfèrent également. "Jusqu'ici, si l'on regarde l'ensemble des procès, à l'exception de la Yougoslavie et du Rwanda, ce sont surtout des chefs de guerre africains qui ont été condamnés, soit parce qu'ils ont été attrapés ou parce qu'ils se sont rendus. Mais c'est arrivés après, quand les conflits étaient terminés."
Isolement diplomatique
Outre une réputation internationale gravement entachée, un mandat d'arrêt délivré par la CPI aurait d'autres conséquences bien plus concrètes. Les dirigeants concernés étant limités dans leurs déplacements internationaux, ils n'auraient plus la possibilité de se rendre à certains événements. "Matériellement, il y aurait une faculté de représentation internationale complétement entravée étant donné que cela implique d'éviter d'aller à certains sommets internationaux. Ce n'est donc pas uniquement symbolique" pointe Olivier Corten, professeur de droit international à l'ULB. Un isolement diplomatique qui pourrait se conjuguer à une détérioration des relations internationales. "Si les États constatent qu'Israël n'applique pas ce que dit la Cour pénale internationale, alors libre à eux d'en tirer les conséquences et d'avoir des relations avec Israël qui seront différentes. Si un régime est dénoncé comme criminel, les autres États peuvent très bien décider de moins commercer avec lui, ou de ne plus commercer du tout. Par exemple, en boycottant des produits israéliens."
Par le passé, la CPI a subi de nombreuses critiques, elle qui était essentiellement centrée sur les conflits en Afrique. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. "Dans le passé, la CPI a été critiquée pour avoir surtout condamné des dirigeants africains. On l'accusait de faire du "deux poids deux mesures", soit une justice sélective en faveur de l'occident. Au départ, ce sont les États africains eux-mêmes qui coopéraient avec la Cour pour qu'elle juge des rebelles africains. Ça, c'était une première phase de son activité. Aujourd'hui, si la demande de mandat d'arrêt est suivie par les juges, il y aurait un énorme changement. Ce serait la première fois que des alliés d'Occidentaux seraient sur le banc des accusés. On voit par ailleurs qu'il y a une justice beaucoup plus indépendante et moins politique qu'elle n'apparaissait avant" explique Olivier Corten.
Une juridiction qui constitue malgré tout un "progrès" d'après Tanguy de Wilde. "Est-ce que l'humanité va dans le sens d'un progrès permanent ? On peut le croire quand on est européens sur le plan des principes. On a un peu plus de doutes quand on voit que beaucoup d'États, comme la Chine, ne s'accordent pas sur les principes européens, et notamment celui de devoir rendre des comptes, le principe de l'état de droit, qui serait appliqué à un niveau supérieur." En octobre 2023, Vladimir Poutine s'était rendu Chine sans risque d'y être inquiété malgré le mandat d'arrêt émis par la CPI. Comme la Chine, une soixantaine d'autres pays ne reconnaissent pas la juridiction de la CPI, tels que l'Inde, les républiques d'Asie centrale, l'Iran ou encore la Corée du Nord.