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Le nombre de fusillades ou d'incidents avec des armes à feu est en augmentation ces derniers mois à Bruxelles. Preuve en est avec de nouveaux coups de feu tirés sur une terrasse à Schaerbeek dimanche soir. Fin mars, c'est une fusillade qui a éclaté à Forest, faisant deux blessés.
Entre début janvier 2024 et la mi-mars de la même année, 19 "incidents de tir" ont été recensés. Or, il y en avait eu 85 en 2022 et 108 en 2023. Ces faits ont donné lieu à 3 décès et 26 blessés en 2022, 4 décès et 27 blessés l'année d'après et un décès et 4 blessés pour les deux premiers mois de cette année.
Des données jugées inquiétantes par Fabienne Ledure, substitute du procureur du Roi au parquet de Bruxelles. "Si on continue à ce rythme-là, on va exploser les chiffres de 2023", a-t-elle averti. Mais est-on réellement en train d'assister à une augmentation des faits de violence dans la capitale? En tout cas, à l'échelle de la Belgique, les chiffres de la police fédérale le montrent: les infractions violentes contre l'intégrité physique sont en hausse en 2022, en comparaison aux années 2018 et 2019. "On voit en effet une légère hausse qui se dessine, pas exceptionnelle, légère mais réelle. Et grosso modo, pour Bruxelles, on a la même tendance: une augmentation des coups et blessures et des meurtres et assassinats", souligne Michaël Dantinne, criminologue à l'Université de Liège.
Des statistiques à manier avec prudence
Notons que les années 2020 et 2021 connaissent une diminution des faits de violence, notamment à cause du Covid et de ses confinements. Les statistiques sont donc à manier avec extrême prudence. D'autant plus que des données sont encore manquantes pour 2023 et 2024 et qu'il existe un "chiffre noir", qui est "la différence entre la criminalité réellement commise et la partie connue par les autorités. Ce sont donc tous les faits commis et non connus des autorités", développe le criminologue.
Il est évident que lorsque la police concentre ses forces sur un phénomène, les chiffres risquent de gonfler. "Si on augmente le nombre de patrouilles dans les rues, on va recenser plus de faits que s'il y a moins de patrouilles. Mais ça ne veut pas dire qu'il y a forcément une augmentation du nombre de faits", insiste Michaël Dantinne.
Les chiffres vont augmenter un peu plus fort
Mais même si l'on ne connaît pas encore les chiffres exacts pour 2024 et que l'on ne dispose que d'une partie de ceux de 2023 (premier trimestre), une tendance se dessine pourtant depuis quelques années. Dès lors, "on peut formuler l'hypothèse que, à Bruxelles, les chiffres vont augmenter un peu plus fort en 2023 et 2024. On pourrait avoir une augmentation plus marquée, c'est à confirmer mais il ne faut pas se voiler la face."
Comment expliquer cette supposition? Par un état des lieux de la situation actuelle dans la capitale. Les faits de violence sont de plus en plus visibles, ils se passent près de chez nous et perdurent dans le temps. "On est face à un marché déstabilisé, il y a cette guerre de territoires entre des bandes pour s'approprier des zones et les contrôler. Et il y a une logique de vendetta, de vengeance entre bandes rivales, ce qui explique que cela dure", détaille le criminologue à l'Université de Liège. "Et il y a aussi une question d'honneur et de masculinité, donc ce n'est pas rationnel. Sinon, ça s'arrêterait", ajoute-t-il.
Un trafic de drogues existe depuis des années
A en croire les faits récents, ceux qui ne vivent pas à Bruxelles peuvent penser que tout cela a débuté il y a quelques mois. Mais ce n'est pas le cas. "C'est là depuis des années", assure Michaël Dantinne. "Il y a toujours eu des violences liées au trafic de drogues, mais elles sont peut-être plus visibles aujourd'hui. On ne se satisfait plus de l'intimidation. Il y a passage à l'acte et vraisemblablement due à des bandes qui s'affrontent à Bruxelles."
Attention, cela ne veut pas dire pour autant que toutes les fusillades et les incidents impliquant des armes à feu à Bruxelles relèvent du trafic de drogues. Il peut d'ailleurs parfois y avoir des amalgames. "Pour définir un narco-état, il y a des meurtres et assassinats et des tentatives de meurtres et assassinat avec armes à feu et plus précisément avec armes automatiques. Mais ce n'est pas forcément systématiquement en lien avec le milieu de la drogue."
Exemple avec Abdessalem Lassoued, le terroriste qui a tué deux Suédois à Bruxelles le 16 octobre 2023. Il avait une arme automatique mais ce n'était pas lié à un trafic de drogues.
Avec moins de 1.000 euros, on peut déjà avoir une arme convenable
Cependant, il est vrai qu'il y a également une augmentation du commerce de drogues dans la capitale. Mais la plus grande disponibilité des armes aujourd'hui joue aussi un rôle dans l'augmentation de toute cette violence. "Des études ont montré que Bruxelles s'est instituée comme une place où on peut, à prix pas trop élevé, se fournir des armes. Et ces armes n'ont aucune existante légale, car elles ont été achetées sous le manteau. Il y a un marché noir des armes", explique Michaël Dantinne.
Ces armes viennent généralement de conflits, comme celui qui oppose la Russie à l'Ukraine. Mais ce sont aussi des armes démilitarisées. Des pistolets d'alarme peuvent également être transformés en vrai pistolet. "Quand on a une offre abondante et que la demande est réelle, le prix n'est pas si élevé que ça. Avec moins de 1.000 euros, on peut déjà avoir une arme convenable, style pistolet ou revolver. Et pour un peu plus d'argent, on peut se fournir une Kalachnikov."
Pour ceux qui baignent dans le milieu criminel, il est évidemment plus facile de se procurer des armes. Mais il existe un vrai business autour de cela, notamment sur des réseaux sociaux comme Telegram. Et ceux qui agissent sont souvent en bas de l'échelle. "Ils servent de chair à canon. Ils gagnent bien leur vie mais ils prennent plus de risques. On voit qu'une vie ne vaut plus grand-chose et c'est interpellant", conclut notre interlocuteur.