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De Renault à Audi: pourquoi l'industrie de la production automobile s'est-elle effondrée en Belgique ?

Autrefois leader mondial dans l'assemblage automobile, la Belgique voit son secteur décliner depuis la fin des années 1990. Avec la possible fermeture de l'usine Audi à Bruxelles, il ne pourrait bientôt rester qu'une seule usine en activité. Comment expliquer ce déclin industriel ?

L’âge d'or de la production automobile belge, qui atteignait son apogée dans les années 1980 et 1990, paraît aujourd'hui bien loin. Jusqu'à la fin du siècle dernier, cinq grandes usines d'assemblage fonctionnaient à plein régime dans nos contrées, fabriquant des modèles phares pour leurs marques respectives. Au nord du pays, à Anvers, Opel assemblait des Astra, tandis que Renault produisait des Clio et des Mégane du côté de Vilvorde. À Gand, Volvo se consacrait à ses séries 700 et 800, alors qu'à Genk, Ford voyait sortir de ses lignes d’assemblage d'abord des Sierra, puis des Mondeo. Enfin, en région bruxelloise, l'usine VW de Forest produisait des Golf et des Passat.

Or, depuis près de trois décennies, les fermetures d'usines se multiplient en Belgique : Renault à Vilvorde en 1997, Volkswagen à Forest en 2006 (qui a frôlé la fermeture avant d’être reprise par Audi), Opel à Anvers en 2010, Ford à Genk en 2014.

Si l'usine de Forest venait à fermer définitivement, seul un grand site de production automobile subsisterait en Belgique : l'usine Volvo à Gand.

"La Belgique a toujours servi de roue de secours pour l'industrie européenne en général. Lorsqu'il y a une crise sur le marché, c'est souvent le premier verrou à sauter, car c'est l'un des pays où les coûts sont les plus élevés", explique Serge Istas, le secrétaire général de Traxio, la fédération du secteur automobile et des secteurs connexes.

Il est évident que la Belgique est plus exposée que les pays où les constructeurs sont implantés.

En période de crise, les constructeurs automobiles commencent systématiquement par fermer leurs usines situées en dehors de leur pays d'origine. "Par exemple, les constructeurs allemands vont d'abord fermer leurs usines situées hors d'Allemagne, les constructeurs français hors de France, et ainsi de suite. Il est évident que la Belgique est plus exposée que les pays où les constructeurs sont implantés."

Charge sociales élevées et robotisation

Plusieurs facteurs expliquent ce déclin industriel, tels que l'intensification de la concurrence, des réglementations parfois complexes ou encore le coût de l'énergie. Pour le secrétaire général de Traxio, le coût élevé du travail en Belgique est depuis longtemps un frein à la rentabilité des usines automobiles, poussant de nombreux constructeurs à délocaliser leur production vers des pays où la main-d'œuvre est moins chère. "Cela fait des années qu'on alerte sur le fait que le coût du travail en Belgique atteint des sommets qui ne sont même plus comparables avec d'autres pays d'Europe de l'Ouest", indique l'expert, qui pointe notamment le poids des charges sociales.

Selon lui, la transformation de l'industrie, marquée par l'automatisation et la robotisation, a également changé la donne en matière de main-d'œuvre. "Il faut comprendre que dans une usine, quel que soit le type, 70 à 85 % des travailleurs sont des ouvriers. Par le passé, ils devaient être hautement qualifiés. On avait de grands metteurs au point, avec de bons mécanos, des gens qui savaient ajuster des pièces de carrosserie quand le travail n'était pas parfait."

Une époque qui semble désormais révolue pour le secrétaire général la fédération du secteur automobile : "Aujourd'hui c'est fini tout ça. Maintenant, ce sont les robots qui effectuent la majeure partie du travail. Les ouvriers, eux, ne s'occupent plus que de quelques tâches simples, comme de la manutention, et ces fonctions ne justifient pas un coût de 50 euros de l'heure. Les tâches complexes comme les soudures, par exemple, sont entièrement automatisées."

Cette évolution a conduit à une situation où les constructeurs n'ont plus besoin de main-d'œuvre aussi qualifiée qu'auparavant, et donc aussi chère. "La délocalisation vers des pays où la main-d'œuvre est moins qualifiée est donc très tentante pour les constructeurs", ajoute Serge Istas. Ainsi de nombreuses tâches autrefois effectuées en Belgique sont désormais sous-traitées dans des pays d'Europe de l'Est ou du Maghreb.

Si les Chinois viennent assembler des voitures en Belgique, ce serait avant tout pour des raisons fiscales

Pour Serge Istas, si de nouveaux constructeurs venaient un jour à s’implanter en Belgique, il s'agirait probablement de constructeurs chinois, dont la concurrence avec les modèles européens est de plus en plus féroce. Une perspective qui ne réjouit guère les experts du secteur. "Ils sont les seuls qui pourraient être intéressés", avertit-il. "Chaque voiture chinoise produite dans une usine belge reviendrait à se tirer une balle dans le pied pour l’industrie automobile européenne. Nous savons bien que si les Chinois viennent assembler des voitures en Belgique, ce serait avant tout pour des raisons fiscales. Il n'y aurait aucune recherche de valeur ajoutée dans la main-d'œuvre belge. Cela signifie que, s'ils reprennent l'usine d'Audi, ce serait sûrement pour une durée très limitée, car quelques années plus tard, si l'opportunité se présente de faire la même chose en Pologne ou en Roumanie, ils n'hésiteront pas à y déplacer leur production."

Concernant l'usine de production Volvo située à Gand, le secrétaire général de Traxio affiche un certain pessimisme : "Je pense que nous allons nous retrouver dans la même situation qu’Audi à Bruxelles. Du moins si Volvo persiste dans sa volonté de passer entièrement à l’électrique, je ne vois pas son implantation en Belgique perdurer sur le long terme."

La place centrale des PME et sous-traitants

Malgré un déclin dans la production de véhicules, la Belgique maintient toutefois une position importante dans la fabrication de pièces et composants automobiles. "Il y a beaucoup de sous-traitants automobiles qui sont présents sur le territoire. L'activité de cette sous-traitance est donc toujours aussi importante", explique Clarisse Ramakers, la directrice générale d'Agoria Wallonie. "On a des entreprises qui font des essuie-glaces, des puces électroniques ou encore des systèmes de refroidissement pour les batteries. On a des sous-traitants qui sont très performants dans les batteries", précise-t-elle.

En 2023, près de 450 entreprises belges spécialisées dans les pièces automobiles ont généré 20,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Plus de 100 000 personnes dépendent de près ou de loin de l'industrie automobile en Belgique. "Le secteur automobile génère environ 50 000 emplois directs, en sachant qu'un emploi direct dans l'industrie crée également un emploi indirect", ajoute la directrice d'Agoria.

Enfin, la Belgique a réussi sa transition vers une industrie automobile axée sur la recherche et le développement, soutenue par des politiques publiques avantageuses, comme les incitations fiscales pour l'innovation. D'après Clarisse Ramakers, la Belgique, grâce à ses centres R&D, s'impose dans des secteurs prometteurs comme l’électrification des véhicules, et parvient à implanter des premières lignes de fabrication pour tester et industrialiser les prototypes. 

 

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