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Combien de morts prématurées, de souffrances indicibles, de familles endeuillées ? Les chiffres ne seront jamais établis mais il reste le souvenir désormais gravé dans la pierre.
Ce jeudi, une stèle dédiée aux victimes de l’amiante est inaugurée à Kapelle-op-den-Bos, cette petite commune du Brabant Flamand qui autrefois s’enorgueillissait d’abriter le plus grand centre de production d’amiante-ciment au monde.
L’amiante, une révolution, un produit miracle qui résiste au feu et que l’on place partout au siècle dernier. L’usine Eternit s’installe à Kapelle-op-Den-Bos, le long du canal Bruxelles-Anvers au début des années 20. Elle prospère après-guerre, alors que l’Europe se reconstruit et elle attire des travailleurs de partout dans le pays.
La famille Jonckheere en fait partie. En 1957, elle s’installe quasiment à côté de l’usine dans une belle maison mise à disposition par Eternit. Pierre, le père est ingénieur, son épouse Françoise s’occupe de leurs 5 fils. Le bonheur à l’ombre d’un tueur. A l’époque, on ne parle pas du lien entre l’amiante et le cancer de plèvre. D’autant que celui-ci ne se développe que de longues années après l’exposition aux fibres d’amiante.
En 1987, Pierre meurt de ce cancer appelé mésothéliome. Françoise n’a jamais travaillé à l’usine et après le décès de son mari, elle déménage. Mais les fibres d’amiante l’accompagnent. Elle est atteinte à son tour de la même maladie. Contrairement à la plupart des autres malades, Françoise Jonchkeere refuse l’indemnisation proposée par Eternit qui l’aurait contrainte au silence. Elle fonde l’ABEVA, association belge des victimes de l’amiante, et décide de se battre en justice. Une longue, bien trop longue procédure commence. Françoise n’en verra pas la fin. En juillet 2000, elle meurt de son cancer. Une autopsie établit sans conteste que l’amiante en est bien la cause. Dans les années qui suivent, deux des cinq frères Jonckheere meurent eux aussi d’un mésothéliome, l’un avait 44 ans, l’autre 46. Les survivants reprennent à leur compte le combat de leur mère.
En 2011, le tribunal de première instance de Bruxelles condamne les responsables d’Eternit à payer 250 000 euros de dommages et intérêts mais la société fait appel. Il faut encore attendre six ans pour que la condamnation soit définitive. En 2017, la cour d’appel confirme que la multinationale belge Eternit connaissait les dangers de l’amiante depuis au moins les années 1960 et qu’elle a tout fait pour les dissimuler.
Le combat d’ABEVA ne s’arrête pas là, il continue, celui d’Eric Jonckheere commence, contre le cancer lui aussi. Rattrapé par la maladie, il obtient une nouvelle victoire en justice en décembre 2023, pour toutes les victimes de l’amiante. Depuis 1998, l’utilisation de l’amiante est interdite en Belgique mais encore chaque semaine encore, des victimes décèdent pour avoir respiré ces fibres que l’on croyait inoffensives.
A Kapelle-Op-Den-Bos, les Jonckheere ont dû batailler ferme pour qu’on ne tire pas définitivement le rideau sur cette sombre page de l’industrie. La stèle sera tout à la fois un rappel et un hommage à toutes les victimes anonymes. Toutefois, le bourgmestre de la commune n’a pas souhaité qu’Eric Jonckheere, président et fer de lance de l’ABEVA, prenne la parole. L’amiante tue silencieusement, l’hommage sera discret.