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Dire son prénom suffit. Et tous les Flamands savent qui c’est. Conner. Conner Rousseau. Ex-président des socialistes flamands de Vooruit. Sous sa direction, le parti est passé de 8% des intentions de vote en 2019 à 16% en 2023. Le jeune homme de 31 ans aujourd’hui, aux baskets blanches et au visage d’ange, est un faiseur de voix. Et sa voix porte. Il allie les phrases chocs : "Je ne me sens pas en Belgique à Molenbeek" aux propositions osées : "Il faut interdire à certains couples qui négligent leurs enfants d’en avoir d’autres.". Il maîtrise les réseaux sociaux comme personne. Il se classe troisième de l’édition flamande de Masked Singer. L’an dernier, il devient donc le plus populaire des politiques au nord. On le voit déjà Premier ministre après les élections. Lui-même ne l’exclut pas : "Si j’en ai la possibilité, pourquoi pas ?"
Mais voilà, en septembre dernier, le phénomène faute. Et pas un peu. Une nuit d’ivresse à Saint-Nicolas, sa ville. A des policiers qui l’interpellent, il tient des propos ignominieux sur les Roms : "Vous devriez sortir votre matraque plus souvent, c’est le seul moyen de gagner leur respect". Dans un premier temps, Rousseau minimise : "J’étais saoul, je regrette". Mais quand on apprend qu’il a en plus déclaré que "vraiment, ces Roms, il faut s’en débarrasser", l’indignation est telle qu’il démissionne. En novembre, il quitte la présidence de Vooruit et son poste de député. "La chute d’Icare", titre la presse flamande. Il était monté si haut. Le voilà raplapla, tout en bas.
Aujourd’hui, la Connermania s’est muée en Conner-mais-t’es-où. L’homme a disparu : il aurait fondé une société de conseil aux entreprises. Pour échapper aux regards flamands, il ne travaillerait qu’aux Pays-Bas. Il faut bien gagner sa vie quand on porte des baskets à 400 euros la paire. Disparu, mais pour combien de temps ? Aujourd’hui, la Flandre se pose la question du "Connerback", un autre néologisme créé spécialement pour lui : sera-t-il candidat aux élections du 9 juin ? Cette semaine, on a appris qu’il renonçait à la tête de liste pour le parlement flamand en Flandre orientale. Une place qui lui était dévolue mais désormais trop exposée. On imaginait mal un débat télévisé dans lequel le Vlaams Belang aurait justifié son rejet des étrangers en citant les propos du socialiste durant sa saoulographie.
Vooruit lui offre maintenant la dernière place sur la même liste. L’homme réfléchit. En attendant, quel gâchis : par sa fraîcheur et son franc-parler, Conner Rousseau avait réconcilié de nombreux jeunes avec la démocratie en les détournant du Vlaams Belang et de ses simplismes. Une nuit d’ivresse de leur idole les a refroidis. La meilleure solution pour Rousseau est probablement de revenir en politique à petit pas. Une position en queue de liste le lui permettrait. Il pourrait ainsi prouver qu’il vaut mieux, bien mieux, que des âneries après une beuverie. Un des plus grands talents de la politique belge pourrait revenir en douceur au sommet. Tel un Icare qui vole haut mais sans cette fois se brûler les ailes. Un Icare plus modeste. Marqué mais plus mûr. Encore mieux à même d’empêcher cette Flandre si inflammable de céder le briquet pour de bon au Vlaams Belang.