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"Sélection" à l'entrée de l'université ou amélioration d'un système défaillant? Au cœur du blocage de plusieurs facs, la loi réformant l'accès à l'enseignement supérieur déchaîne les passions et fait l'objet de lectures diamétralement opposées.
La loi "Orientation et réussite des étudiants" (ORE) de la ministre Frédérique Vidal supprime le tirage au sort, appliqué jusqu'à l'an dernier lorsque le nombre de candidats dépassait le nombre de places disponibles dans une filière donnée, et veut réduire le taux d'échec en première année de licence (60%).
Selon la nouvelle loi, les universités ne peuvent répondre que par "oui" ou "oui si" (candidature acceptée mais le jeune doit suivre un parcours d'accompagnement) aux vœux des candidats à des licences générales. S'il y a plus de candidatures que de places, un jeune peut se retrouver "en attente" qu'une place se libère, éventuellement.
- L'université pourra-t-elle refuser des jeunes?
Non, affirme Franck Loureiro, du Sgen-CFDT, premier syndicat dans l'enseignement supérieur et la recherche, tous personnels confondus. "Ce sera au recteur et à la commission académique de trouver une offre de formation proche des vœux du candidat qui n'aura pas été pris dans la filière de son choix. On a 1.600 filières en licence, on peut trouver quelque chose de très proche sur un même territoire".
Oui, répond Lilà Le Bas, présidente de l'Unef, 2e syndicat étudiant, opposé à la réforme. "Il y aura toujours à la fin le couperet des capacités d'accueil des universités et l'on pourra dire +non+, in fine, quand toutes les places seront prises. "La ministre fait de la linguistique en disant qu'on ne refusera personne puisque les candidats seront mis +en attente+. Mais être +en attente+ ad vitam aeternam, cela équivaut à un +non+", abonde Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup-FSU, premier syndicat chez les enseignants du supérieur.
- Classer, est-ce sélectionner?
Oui, répond Hervé Christofol: "La loi impose un classement de l'ensemble des candidatures. Il y a des personnes auxquelles on dira +oui+ tout de suite et d'autres qui se verront répondre +oui si+ et +en attente+". "La plateforme Parcoursup permet de trier les bacheliers et les étudiants en réorientation en fonction de leur type de bac, leurs notes au bac, leur CV ou leur lettre de motivation", dit Lilà Le Bas. "Avec son baccalauréat, on doit pouvoir avoir accès à la filière de son choix, comme les générations précédentes".
Non, répond Jimmy Losfeld, président de la Fage, 1er syndicat étudiant, qui soutient la réforme. Il estime que les parcours d'accompagnement prévus par la loi pour les étudiants les plus fragiles (qui recevront la réponse +oui si+ sur Parcoursup) permettront de réduire le taux d'échec et d'abandon de ces jeunes. "Ce sont souvent les jeunes des milieux populaires qui payent les pots cassés du système universitaire actuel", souligne-t-il, évoquant une "sélection par l'échec".
- Y aura-t-il suffisamment de places pour tout le monde?
Non, selon la présidente de l'Unef. Le gouvernement a annoncé la création de 22.000 places supplémentaires à la rentrée 2018, notamment pour les filières en tension. "C'est évidemment une bonne chose mais c'est loin d'être suffisant car on attend 28.000 étudiants supplémentaires" cette année.
Oui, déclare le président de la Fage. Ces étudiants supplémentaires "ne vont pas tous aller dans les filières en tension, beaucoup choisissent des formations dotées de places suffisantes", dit-il. De plus, les parcours d'accompagnement, "qui visent à tordre le bras au taux d'échec massif en licence", vont aussi, à terme, permettre de libérer des places en diminuant le nombre de redoublants.
Pro et anti se retrouvent sur un point: l'université française est sous-financée depuis plusieurs années, d'autant que le nombre d'étudiants a fortement augmenté.