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Le parcours de Mohamed Abrini jusqu'au 22 mars 2016, jour des attentats de Bruxelles, a été évoqué par les juges d'instruction et enquêteurs de l'unité anti-terroriste de la police judiciaire fédérale, ce mercredi devant la cour d'assises de Bruxelles. L'accusé, surnommé "l'homme au chapeau" ou "Abou Yahya", se serait radicalisé en prison après avoir appris le décès de son frère en Syrie.
Le récit des enquêteurs a lieu en l'absence de l'intéressé, puisque Mohamed Abrini a décidé en début d'audience de retourner en cellule, tout comme les accusés Osama Krayem et Salah Abdeslam. Après une scolarité perturbée par de la dyslexie et de la dysorthographie, Mohamed Abrini bascule rapidement dans la délinquance, a exposé l'enquêteur de la DR3. Il est connu pour une cinquantaine de faits de droit commun, notamment des vols avec effraction.
A partir de 2010, il passe beaucoup de temps en prison. En août 2014, alors qu'il est incarcéré à Forest, il apprend le décès de son frère cadet Soulayman des suites d'un bombardement en Syrie. Cet événement joue comme un déclencheur dans la radicalisation de Mohamed Abrini, d'après les enquêteurs. A sa sortie de prison, il est décrit comme plus calme et plus religieux par ses proches. L'homme dira lui-même avoir commencé à lire le Coran durant son incarcération. Il envoie un SMS à sa compagne pour lui demander de ne plus sortir de chez elle sans être voilée.
Durant un autre séjour en prison, en mars 2015, Mohamed Abrini envoie une lettre à son cousin incarcéré à la prison d'Ittre prouvant, pour l'islamologue Mohamed Fahmi, sa radicalisation. Il s'y présente comme un pieu pratiquant la bienfaisance et se permet de donner des conseils islamiques. Il marque un intérêt prononcé pour l'islam et a développé un lien émotionnel avec sa croyance. Pour l'accusé, l'organisation terroriste Etat islamique serait un bon exemple à suivre puisque celui-ci serait religieusement légitime, a noté l'expert.
Une mise en scène pour remplir une mission à finalité terroriste
A l'été 2015, "l'homme au chapeau" se rend en Syrie, où il se recueille sur la dépouille de son frère, ont poursuivi les enquêteurs. Il y retrouve son ami d'enfance Abdelhamid Abaaoud, considéré comme le cerveau des attentats de Paris. Il passe en tout 16 jours dans la zone turco-syrienne. Après ce séjour, le Belgo-Marocain se rend en Angleterre à la demande d'Abdelhamid Abaaoud. Il doit y récupérer une somme d'argent. Il passe d'abord quelques jours à Londres pour "faire du shopping", selon les déclarations de l'accusé, avant de partir pour Birmingham, où un certain Zakaria lui remet 3.000 livres. Il remettra la somme au petit frère d'Abdelhamid Abaaoud une fois rentré à Bruxelles.
Mohamed Abrini se livre également à des "activités touristiques" à Manchester. Il se fait prendre en photo devant le stade de football de Manchester United. Il se rend dans des bars à chicha et au casino et dépense de l'argent gagné lors d'un tournoi de poker, selon ses dires. Pour les enquêteurs, il s'agit là d'une mise en scène pour faire croire que le voyage avait une visée touristique alors que l'accusé est allé remplir une mission à finalité terroriste.
Mohamed Abrini revient finalement en Belgique le 16 juillet via Londres et Paris, d'où un ami le ramène en voiture à Bruxelles. Les enquêteurs se sont ensuite penchés sur l'implication de l'accusé dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, pour lesquels il a été condamné l'an dernier à la réclusion à perpétuité par la cour d'assises de Paris. Son implication commence par la location, le 9 novembre 2015, d'une voiture dans une agence d'Ixelles avec Salah Abdeslam, également condamné dans cette affaire. Les deux accusés se rendent à Paris le 11 novembre à bord d'une Renault Clio, puis dans une maison de Charleroi qui sert de planque aux terroristes des attentats de Paris. C'est Mohamed Abrini qui conduit les frères Abdeslam à Bobigny, près de Paris, en vue des attaques parisiennes. Il ne reste pas, mais revient à Bruxelles la nuit du 12 novembre en taxi.
Au lendemain des attaques à Paris, le Belgo-Marocain est recherché par la police. Il suit Khalid El Bakraoui, futur kamikaze du métro bruxellois, qui propose de le cacher et entre en clandestinité. Mohamed Abrini fréquente plusieurs planques et laisse derrière lui un testament retrouvé par les enquêteurs. Il déclarera par la suite avoir écrit le texte alors qu'il savait qu'il n'allait pas mourir. Il ne voulait pas se faire remarquer par rapport aux autres qui écrivaient tous leur testament, justifie-t-il. Mais pour l'islamologue Mohamed Fahmi, le fait que l'accusé parle de lui-même "écarte les hypothèses du recopiage et du manque d'intérêt". Il utilise également des arguments d'inspiration djihadiste et cite l'organisation terroriste Etat islamique, ce qui démontre que l'accusé s'était approprié la propagande de l'EI, selon l'expert.
Dans une autre lettre attribuée à Mohamed Abrini, il tente de convaincre son ancienne petite amie d'entreprendre une hijra. Dans un contexte djihadiste, ce terme désigne le fait de se rendre d'un pays infidèle vers un pays religieux.
L'audience a redémarré vers 14h15 avec la présentation de la journée du 22 mars 2016 du point de vue de "l'homme au chapeau".
Mohamed Abrini faisait partie du trio de l'aéroport de Zaventem le 22 mars 2016. Il a accompagné les kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui jusqu'à Brussels Airport, mais a abandonné sa bombe, renonçant à se faire exploser, et pris la fuite à pied. Il sera finalement arrêté le 8 avril 2016.
Au total, 10 hommes, dont un fait défaut, sont jugés devant la cour d'assises de Bruxelles pour les attaques perpétrées à l'aéroport de Zaventem et dans le métro bruxellois. Ces attentats ont fait 32 morts et des centaines de blessés.