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"C'était une petite fille, qui s'est simplement levée pour ses convictions". Comme son aïeul Jacky Naja, des centaines de personnes ont assisté samedi à Nouméa aux obsèques de Stéphanie Nasaie Doouka, 17 ans, tuée d'une balle dans la tête pendant les émeutes.
Le grand-père maternel de celle que tout le monde appelait "Nana" est inconsolable, et en colère. "Je ne comprends pas pourquoi on tue nos enfants, ici, chez nous. Moi, aujourd’hui, j'ai de la haine".
Nourrie par le vote à Paris d'une réforme électorale contestée, la colère des indépendantistes de Nouvelle-Calédonie a dégénéré en une vague de violences inédite depuis la crise insurrectionnelle des années 1980.
La tension est retombée ces derniers jours dans le territoire français du Pacifique Sud mais le bilan est lourd. Sept morts, dont deux gendarmes, de nombreux blessés et des dégâts considérables.
Le 15 mai dernier, Jacky Naja a appris avec stupeur la mort de sa petite-fille, tuée par balle dans le quartier de Ducos avec son cousin Chrétien Neregote, 36 ans, par les tirs d'un garagiste.
L'auteur des coups de feu a été mis en examen et incarcéré pour meurtre.
Deux semaines plus tard, dans la foule réunie au cimetière du 5e Kilomètre, à Nouméa, pour un ultime hommage, la colère le dispute aux larmes.
"La semaine précédente, on était en train de faire les papiers pour l'armée parce qu'elle voulait s'engager", raconte Waidrawa Hnaja, la meilleure amie de Nana. "Elle avait des projets de formation de carrière et aujourd'hui je parle d'elle au passé.
- "Continuer la lutte" -
Sa grand-mère, Madeleine Naja, décrit une jeune fille "souriante et joyeuse, très proche de sa famille", passionnée de dessin, qui cherchait sa voix professionnelle après avoir arrêté le lycée.
Des portraits de Stéphanie Nasaie Doouka circulent, ceux d'une adolescente au visage encore enfantin, nattes sages et sweat-shirt trop grand pour elle.
Partout, le drapeau indépendantiste vert, rouge, bleu et jaune frappé de la flèche faîtière: deux ont été déposés sur le cercueil laqué de blanc.
Des jeunes du quartier de Nouville, où elle résidait, ont traversé toute la ville pour saluer sa mémoire. "On ne veut pas qu'elle soit morte pour rien, on continuera la lutte", assure l'un d'eux sous couvert d'anonymat.
Lui aussi originaire de Nouville, Didier est venu en voisin avec ses deux plus jeunes filles. Son visage et ses bras portent les traces de sa mobilisation sur les barrages: sous sa pommette droite, une marque violette qu'il attribue à un tir de flashball.
"Les forces de l'ordre nous tirent dessus, ils foncent dans le tas sans regarder s'il y a des enfants. Nasaie, Chrétien, Jybril ont été tués. Mais combien de marches pacifiques on a fait depuis six mois sans que personne ne nous écoute ? Et voilà qu'on tue nos jeunes", regrette-t-il.
A la tristesse s'ajoutent la colère et l'amertume: le cercueil de la jeune fille est arrivé déjà fermé. Impossible pour ses proches de la voir une dernière fois et pour sa famille de réaliser certains rites essentiels.
- "Leur place est ici !" -
Dans la coutume kanak, les oncles maternels, détenteurs du souffle de vie de la naissance à la mort, doivent fermer eux-même le cercueil. Sans cela, le défunt ne peut rejoindre le monde des esprits.
Leur colère s'adresse aussi aux responsables politiques. Aucun n'a fait le déplacement. "Ils sont où nos politiques, ceux qui nous ont amené là ? Leur place est ici !", fulmine Martin.
"Moi je rends hommage à cette petite fille, qui laisse aujourd'hui ses parents, qui laisse tout son peuple continuer le combat, cette voie-là que nos élus ont tracé, depuis les années 1980", poursuit le sexagénaire.
"Je me demande si la mort de cette enfant, elle donne de la valeur au travail qu'ils sont en train de faire. Personnellement, je ne pense pas", conclut-il.
Dans le ciel, un hélicoptère de la gendarmerie se dirige vers le quartier d'Auteuil, toujours en proie aux affrontements entre jeunes et forces de l'ordre.
La tombe refermée, un jeune harangue la foule au cri de "vive Kanaky" avant de repartir, drapeau au vent avec ses camarades de barrage.
Ils doivent maintenant rendre hommage à Chrétien Neregote, le cousin de "Nana", dont la veillée funèbre se tient juste à côté, avant son transfert vers sa commune natale de Canala.