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Des touristes espagnols gisant dans des mares de sang devant le bazar de Bamiyan: les tirs qui ont coûté la vie à des visiteurs étrangers ont peut-être aussi porté un coup fatal au tourisme naissant en Afghanistan.
"Encore une attaque comme ça et le tourisme est mort" en Afghanistan, déclare à l'AFP le Britannique Joe Sheffer, fondateur de l'agence de tourisme éco-responsable Safarat, après l'assaut qui a tué vendredi six personnes, dont trois touristes espagnols, et blessé quatre autres étrangers.
L'attentat mené par un ou plusieurs tireurs contre le groupe de 13 visiteurs emmenés par une agence espagnole dans la province montagneuse de Bamiyan (centre) - le premier contre des touristes étrangers depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021 - a été revendiqué dimanche par le groupe jihadiste Etat islamique (EI).
Il bat en brèche l'antienne des autorités talibanes qui ne cessent de vanter la "sécurité" retrouvée depuis leur retour à Kaboul, alors que touristes commençaient à revenir.
La province de Bamiyan, avec ses bouddhas géants dynamités en 2001 par les talibans dans la capitale éponyme, son chapelet de lacs turquoise à Band-e Amir et une certaine douceur de vivre, était la première destination touristique du pays.
"Il ne fait pas de doute que cette attaque a déjà un impact", ajoute M. Sheffer. "On a déjà deux clients qui ont annulé. Et sur les forums internet, un nombre important de voyageurs ont renoncé à venir en Afghanistan dans l'avenir immédiat".
L'agence Safarat a déjà "revu ses opérations". "On va réduire la taille des groupes, renoncer aux visites dans des endroits isolés, limiter les sorties à pied dans les endroits publics", explique-t-il.
Le fondateur de l'agence Untamed Borders, James Willcox, estime aussi que "toute attaque violente de touristes aura un impact".
Mais "on est présent en Afghanistan depuis plus de 15 ans et il n'y a jamais eu de période sans que des groupes antigouvernementaux opèrent dans le pays. C'est une chose que chacun doit prendre en compte quand il voyage en Afghanistan".
La Thaïlandaise Phakhaporn Thantadakul, directrice de l'agence de voyage Away Vacation, "a envie d'annuler" le voyage prévu en juin/juillet pour plusieurs de ses compatriotes.
Ces bouddhistes thaïlandais voulaient aller à Bamiyan mais "la sécurité n'est pas bonne", dit-elle depuis Bangkok, confiant "avoir peur" pour ses clients.
"Je vais leur demander leur avis car la sécurité est prioritaire. S'il se passe quelque chose, je ne pourrai rien faire".
- "Impact négatif" -
L'agence de voyage Let's be Friends Afghanistan (LBFA) "a été inondée de questions sur la sécurité" ces derniers jours, déclare Noor Mohammad Ramazan, son fondateur.
"Ce que les touristes préfèrent en Afghanistan, ce sont les endroits animés et les échanges avec la population locale", note-t-il, "mais, malheureusement, pour l'instant, on va éviter cela".
La tuerie de Bamiyan "a déjà indéniablement un impact négatif", dit lui aussi M. Ramazan, "mais je ne crois pas que cela va tuer" le tourisme.
"On a déjà eu beaucoup de problèmes dans le passé mais il y a toujours eu des touristes en quête d'aventure", dit cet Afghan qui a créé LBFA en 2015.
Il y a deux mois, le touriste français Didier Goudant skiait avec des villageois sur les pentes de Bamiyan pour la deuxième année consécutive. Jamais il n'aurait imaginé une telle tragédie.
"Nous savions que le risque terroriste existe en Afghanistan, mais il semblait moindre à Bamiyan, une région tranquille, accueillante", dit cet avocat.
"C'est un choc, donc on va hésiter (à y retourner), il va falloir suivre l'évolution de la situation", ajoute-t-il.
Contactés par l'AFP à Bamiyan, la réception du plus grand hôtel, le Gholghola, un médecin et plusieurs habitants n'ont pas souhaité s'exprimer.
- Manque d'infrastructure -
Le gouvernement taliban - reconnu par aucun pays au monde - est soucieux de favoriser le tourisme, alors que même avant cet attentat l'Afghanistan était une destination formellement déconseillée par de nombreuses chancelleries.
Et même si ce pays très pauvre manque cruellement d'infrastructures, hôtels et routes notamment, l'extraordinaire beauté de ses paysages et l'hospitalité légendaire de sa population ont attiré un nombre croissant d'aventuriers récemment.
Le nombre de touristes étrangers a ainsi progressé de 120% à près de 5.200 l'an dernier, selon des chiffres officiels.
"Le problème en Afghanistan, c'est qu'on est passé de zéro touriste à 7.000, certains disent même 10.000 cette année", dit Joe Sheffer, chez Safarat. "C'est trop, et trop rapidement".
"Beaucoup de tours-opérateurs qui avaient démarré très lentement et très prudemment, utilisant des techniques de sécurité, ont un peu oublié ces précautions parce qu'ils étaient accaparés par les (problèmes d'infrastructures ou les transports", explique-t-il.
Joe Sheffer prévoit que le gouvernement taliban, qui a arrêté sept "suspects" à Bamiyan, va réagir à cette attaque en imposant plus de formalités à des touristes déjà obligés de s'enregistrer dans chaque province visitée.
"Cela rendra encore plus difficile pour les touristes d'apprécier ce pays", redoute-t-il.
"Et cela n'empêchera pas une nouvelle attaque".