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"Il va y avoir des changements", "je n'attends rien", "s'il faut tout brûler, nous le ferons": âgées de 26 à 91 ans, quatre féministes expriment leurs attentes, leur réserve et leur colère persistante à l'heure de la très probable élection d'une première présidente dans l'histoire du Mexique.
Favorite dans les sondages (56%), la candidate de la gauche au pouvoir Claudia Sheinbaum est la favorite de l'élection du 2 juin, devant une autre femme, l'opposante de centre-droit Xochitl Galvez (34%), et l'outsider Jorge Álvarez Maynez (10%), selon un sondage de la société Oráculus.
Ce moment féminin sans précédent en politique contraste avec le machisme dénoncé, analysé et combattu par les féministes au Mexique.
Un machisme véhiculé depuis longtemps par la culture populaire: les films de l'âge d'or du cinéma national (1940-60) ont conforté l'image du "charro", sorte de cow-boy mexicain.
Le pays de 129 millions d'habitants a enregistré en 2023 852 féminicides, d'après les chiffres officiels. Comme d'autres crimes, les violences sexuelles envers les femmes restent largement impunies.
- "Il est temps" -
"Il est temps que l'on reconnaisse les femmes", dit d'une voix douce Elena Poniatowska, romancière et féministe de 91 ans, dans sa maison des quartiers sud de Mexico, prisé par les intellectuels et artistes de gauche.
Née à Paris d'une mère mexicaine et d'un descendant de la noblesse polonaise, cousine d'un ministre de l'Intérieur français de droite dans les années 70, elle soutient de longue date le président de gauche Andrés Manuel López Obrador.
L'arrivée d'une femme au sommet de l'Etat "est une conséquence logique d'un pays qui a avancé", dit l'auteure de "La nuit de Ttatelolco" (traduit en français) sur le massacre d'étudiants mexicains en 1968.
"Il va y avoir des changements très importants", ajoute-t-elle, estimant que la victoire de l'ex-maire de Mexico (2018-2023) Sheinbaum ne fait pas de doute.
La doyenne des lettres mexicaines espère des progrès dans les politiques publiques au profit des "enfants" et des femmes.
"Ce n'est pas moi qui arrive, nous arrivons toutes", a promis Claudia Sheinbaum en lançant sa campagne le 1er mars. "Il me revient également de lutter pour les femmes".
Pour certaines féministes, Claudia Sheinbaum n'en reste pas moins l'héritière du président sortant Lopez Obrador, qui a critiqué les "pseudo-féministes" après des manifestations pro-avortement en 2021.
L'avortement a été dépénalisé et légalisé sur décision de la Cour suprême, et non du gouvernement.
Responsable du portail féministe Sem-Mexico, l'activiste Sara Lovera, 74 ans, affirme n'avoir que "très peu d'attente".
"Nous n'allons avoir aucun changement, nous allons continuer à perdre. Certains pensent que nous avons perdu 30 ans en matière de politique de genre", affirme-t-elle.
"Je crois qu'avec Xochitl Galvez, nous pourrions dialoguer, même si elle n'y comprend rien non plus".
- "Nous sommes tendance" -
A 53 ans, "Flor de Fuego" (Fleur de feu) crache des flammes au carrefour d'un quartier populaire de Mexico, ce qui lui a permis de payer les études de biologie de sa fille. Elle se produit également pendant les manifestations féministes.
"Les femmes, nous sommes tendance", ironise-t-elle en se moquant des partis politiques qui en profitent selon elle.
"Je ne pense pas que les choses changent beaucoup", ajoute celle qui garde pour elle sa véritable identité.
"Nos manifestations féministes ont été réprimées" pendant le mandat de Claudia Sheinbaum à la mairie de Mexico (2018-23), ajoute-t-elle. "Qui sait ce qui va arriver à la communauté féministe".
- "Tout brûler" -
La tête couverte par une capuche, Alondra (nom d'emprunt), étudiante en économie de 26 ans, milite au Bloque negro, mouvement féministe radical.
"Il est possible que rien ne change, et que la violence envers les femmes continue", affirme-t-elle en collant sur l'affiche de campagne des candidates la photo du meurtrier présumé d'une étudiante tuée en 2016.
Habituée aux opérations coups de poing, la jeune activiste a été plusieurs fois blessée dans des échauffourées avec les forces de sécurité, en voulant protéger des manifestantes.
Les partis politiques "pensent qu'en imposant une femme, d'où qu'elle vienne, ils vont faire taire le mouvement féministe".
"Nous allons continuer à manifester, et s'il faut tout brûler, nous brûlerons tout", prévient-elle.
Le Bloque negro est régulièrement accusé de vandaliser des monuments, des bâtiments publics et des commerces pendant ses manifestations. Le mouvement dit vouloir détruire des figures d'autorité masculine pour envoyer un message aux autorités politiques.