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La nuit tombe et deux drones grésillent au-dessus du lit du fleuve Limpopo asséché, qui sert de frontière entre l'Afrique du Sud et le Zimbabwe.
Les contrebandiers vérifient ainsi que la voie est libre avant de passer cigarettes, voitures volées et des êtres humains en pagaille. Un phénomène que le gouvernement sud-africain a promis de juguler, en amont d'élections cruciales le 29 mai.
A quelques centaines de mètres, des soldats s'affalent sous une tente, près d'un étang infesté de crocodiles. Ils sont chargés de sécuriser des kilomètres de terrain. Une tâche ardue, reconnaissent leurs supérieurs.
"Avons-nous les effectifs nécessaires? Certainement pas", dit Mike Masiapato, chef de l'autorité de gestion des frontières (BMA) récemment créée, qui travaille avec l'armée.
Le trafic frontalier, surtout l'immigration clandestine, focalise l'attention. Contrariés par la criminalité, l'effondrement des services, un fort chômage, de nombreux Sud-Africains sont devenus intolérants à l'égard des millions de migrants africains qui rêvent du pays le plus industrialisé du continent.
Autrefois marginaux, les sentiments xénophobes sont "au cœur du discours politique", souligne Loren Landau, spécialiste à l'université Witwatersrand.
- Des murs et des ânes -
Plusieurs partis attisent ce sentiment, en se focalisant sur l'immigration. L'un promet des expulsions massives et la construction de murs. Un autre est dirigé par un ancien maire de Johannesburg qui se dit "xénophobe et fier de l'être". Ils rassemblent relativement peu, selon les sondages. Mais chaque vote compte.
D'autant que l'ANC au pouvoir, essouflé par la corruption et une gestion critiquée, pourrait perdre sa majorité parlementaire pour la première fois en trente ans et être contraint de former un gouvernement de coalition.
Autrefois panafricaniste, il a aussi adopté une position plus nationaliste. En avril, le gouvernement a approuvé une réforme de la loi sur l'immigration qui, si elle était adoptée, augmenterait le nombre d'expulsions.
Et le président Cyril Ramaphosa a lancé la BMA en octobre, en promettant de freiner l'immigration clandestine, qui exacerbe "de nombreux problèmes sociaux et économiques".
Parmi les six frontières terrestres de l'Afrique du Sud, les quelque 200 kilomètres qui la séparent du Zimbabwe sont les plus problématiques, note le chef de la BMA.
Le voisin septentrional est plongé dans une crise économique permanente, qui pousse beaucoup à partir. Près de la moitié des 2,4 millions d'étrangers recensés en Afrique du Sud sont zimbabwéens.
En hiver, lorsque le Limpopo "est à sec, les gens n'ont qu'à le traverser à pied", raconte M. Masiapato, rendant tout contrôle illusoire.
Et le commerce informel transfontalier prospère.
Jusqu'à 18.000 personnes passent chaque jour par le seul poste-frontière officiel de Beitbridge. D'autres passent des chargements tirés par des ânes, évitant les files d'attente comme les questions.
Ils apportent légumes et produits frais à vendre en Afrique du Sud et repartent avec des marchandises dont ils peuvent tirer un prix plus élevé chez eux.
- Viols et racket -
Avec peu de sécurité en vue, la criminalité règne. Une clôture frontalière en barbelés installée en 2020 a été percée, déchirée et pillée pour la ferraille.
Les gens d'ici déconseillent de circuler près du fleuve sans arme. Des gangs s'attaquent aux migrants qui fuient déjà la police et les animaux sauvages.
"Les voleurs sont partout", raconte Beloved, Zimbabwéen de 36 ans hébergé par une église, non loin de la ville de Messina. Il préfère taire son nom.
La première fois qu'il a traversé la frontière en 2009, il a été dépouillé de toutes ses affaires. Son épouse et d'autres femmes ont été violées, dit-il.
Depuis il a été expulsé trois fois, avant de revenir, toujours "à la recherche d'une herbe plus verte", résume-t-il, assis sous le toit de tôle du centre d'accueil.
Des dizaines de personnes vivent là. Elles dorment sur des planches en bois dans l'attente d'un travail occasionnel d'ouvrier agricole ou en passant de la contrabande, dans l'espoir d'envoyer un peu d'argent au pays.
"Tout est difficile. Précaire", note Beloved.
La BMA, qui centralise le travail autrefois réalisé par plusieurs agences gouvernementales, dit avoir déjà empêché 281.000 personnes d'"entrer illégalement" cette année.
Poudre aux yeux électorale, rétorquent beaucoup de riverains, pour qui rien n'a changé.
"Les forces gouvernementales n'ont pas les ressources nécessaires", souligne Conrad Young, un entrepreneur de sécurité privée.
Certains fermiers, dont les propriétés donnent sur le fleuve, disent passer la moitié de leur temps à vérifier et réparer les clôtures coupées par les clandestins.
D'autres en ont pris leur parti. "Je les laisse passer. Ils ne nous dérangent pas, nous ne les dérangeons pas", dit l'un d'eux sous couvert d'anonymat. "La frontière n'existe pas".