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Emmanuel Macron a nommé jeudi l'ancien ministre et commissaire européen de droite Michel Barnier Premier ministre, 60 jours après le second tour des législatives qui ont débouché sur une Assemblée nationale sans majorité, suscitant l'ire de la gauche mais une réaction plus attentiste du Rassemblement national.
A 73 ans, Michel Barnier, issu des Républicains (LR), devient le plus vieux Premier ministre de la Ve République, succédant ainsi au plus jeune Gabriel Attal, 35 ans, qui avait été nommé en janvier seulement et était démissionnaire depuis 51 jours.
Le nouveau Premier ministre, qui sera soutenu par le camp présidentiel et les LR, mais sans majorité, va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire, pour mettre fin à la plus grave crise politique depuis 1958.
Le président "l'a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français", a déclaré l'Elysée dans un communiqué. Emmanuel Macron "s'est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement", a ajouté la présidence.
En attendant, les ministres démissionnaires vont eux rester en fonctions pour continuer de gérer les affaires courantes le temps des négociations.
Avant d'opter pour Michel Barnier, le chef de l'Etat, qui voulait éviter au maximum le risque de censure immédiate, avait épuisé plusieurs autres cartouches, de Bernard Cazeneuve à gauche à Xavier Bertrand à droite, en passant par le président du Conseil économique, social et environnemental Thierry Beaudet pour la société civile.
Le nouveau Premier ministre, qui fut aussi candidat malheureux à la primaire du parti Les Républicains en vue de la présidentielle de 2022, hérite d'une tâche aux allures de mission impossible, tant aucune coalition viable n'a jusqu'ici émergé et tant les différents acteurs sont en embuscade.
Il devrait réunir 235 sièges avec le bloc central (166 sièges), les LR (47) et le groupe Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, 22), loin de la majorité absolue (289), seul paratonnerre contre la censure. En face, le RN et ses alliés alignent 142 sièges et le Nouveau front populaire (NFP) 193 sièges.
- "Crise de régime" -
Vieux routier de la politique, Michel Barnier est réputé bon médiateur: il a été le négociateur en chef de l'Union européenne pour le Brexit lorsque le Royaume-Uni a quitté le bloc continental. Avant cela, il a été ministre à plusieurs reprises depuis 1993, notamment sous les présidences de Jacques Chirac (Affaires étrangères et européennes) et de Nicolas Sarkozy (Agriculture).
Plus récemment, lorsqu'il lorgnait l'Elysée, ce gaulliste centriste avait durci son discours sur l'immigration, prônant pour un "moratoire" et allant, lui l'Européen convaincu, jusqu'à remettre en cause la Cour européenne de justice au nom de la "souveraineté juridique".
Mais il est attendu de tous les côtés, avec le risque permanent d'une motion de censure qui a conduit à l'éviction d'une autre figure des LR, Xavier Bertrand, dont la nomination paraissait mercredi acquise.
A gauche, où l'on promet déjà la censure, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a aussitôt dénoncé une "élection volée aux Français", assurant que Michel Barnier avait été nommé "avec la permission et peut être sur la suggestion du Rassemblement national" et appelant à la "mobilisation la plus puissante que possible" samedi lors d'une manifestation anti-Macron. Le RN a "donné une forme de quitus" à la nomination de Barnier, a dans la même veine grincé François Hollande.
Le patron des socialistes Olivier Faure a crié à "la crise de régime" et au "déni démocratique porté à son apogée" avec "un Premier ministre issu du parti qui est arrivé en 4e position et qui n’a même pas participé au front républicain".
Le RN, qui peut à tout moment faire tomber le futur gouvernement avec le NFP, est resté pour sa part plus circonspect. Il "jugera sur pièces son discours de politique générale", a déclaré le président du parti, Jordan Bardella.
Le dirigeant LR Laurent Wauquiez a jugé pour sa part que Michel Barnier avait "tous les atouts pour réussir dans cette difficile mission qui lui est confiée".
Renaissance, le parti d'Emmanuel Macron, a promis de porter "des exigences sur le fond, sans chèque en blanc" mais ne votera pas de "censure automatique", Edouard Philippe (Horizons) assurant de son côté "nous serons nombreux à l'aider".
- "Clone" -
Quant à cette "odeur de cohabitation" que l'entourage d'Emmanuel Macron recherchait pour incarner une forme d'alternance, ce n'est pas avec Michel Barnier qu'elle devrait être la plus enivrante. Il est venu d'une droite pro-européenne et jugée "pragmatique", et il a souvent été considéré "Macron-compatible".
Le chef de l'Etat "cherchait un clone, il a fini par le trouver", a ironisé sur BFMTV le communiste Ian Brossat, qui voit dans ce choix "la promesse d'une continuité absolue".
Ces derniers jours, plusieurs sources, jusque parmi ses soutiens, décelaient chez le président une réticence à se tourner réellement vers le centre-gauche, de crainte de voir son bilan économique "détricoté".
"Il est très apprécié des députés de droite sans que ce soit un irritant à gauche", s'enthousiasme une ministre démissionnaire de l'aile droite de la Macronie au sujet de M. Barnier. "On doit savoir faire avec", tempère un dirigeant centriste, avec beaucoup moins d'engouement.
Nombre de macronistes jugent aussi que Michel Barnier est le plus petit dénominateur commun et que, vu son âge, il ne devrait pas effrayer tous ceux qui rêvent de briguer l'Elysée en 2027. "J'en suis au stade où je pense que l'urgence absolue pour le président c'est qu'il nomme quelqu'un. Je n'en suis même plus au stade de donner un avis", lâchait un confident d'Emmanuel Macron juste avant l'annonce officielle.