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Emmanuel Macron a demandé mercredi l'instauration de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie après deux nuits d'émeutes qui ont fait quatre morts et des centaines blessés dans l'archipel, secoué par la fronde des indépendantistes contre une réforme électorale votée par le Parlement. À l'issue d'un conseil de défense et de sécurité nationale réuni dans la matinée, le chef de l'Etat a annoncé que le décret visant à instaurer l'état d'urgence dans l'archipel français du Pacifique Sud serait inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres prévu mercredi après-midi.
Mise en oeuvre après les attentats du 13 novembre 2015 ou pendant l'épidémie de Covid-19, cette mesure, qui permet notamment d'interdire déplacements ou manifestations, était réclamée par de nombreuses voix à droite et à l'extrême droite. Malgré les appels au calme des principaux partis politiques du territoire et des autorités, la vague de violences entamée lundi, la plus grave depuis les années 1980, n'a donné aucun signe de reflux.
Le Premier ministre Gabriel Attal a précisé peu après devant les députés qu'il proposerait une date "dans les prochaines heures" pour recevoir à Matignon indépendantistes et non-indépendantistes.
"Situation insurrectionnelle"
Les cinq principaux partis de ces deux camps ont appelé plus tôt mercredi "l'ensemble de la population (...) au calme et à la raison". Incendies, pillages, affrontements armés entre émeutiers et population ou avec les forces de l'ordre, tout l'archipel est le théâtre depuis lundi d'émeutes particulièrement violentes, malgré l'instauration d'un couvre-feu à Nouméa et dans son agglomération.
"On est dans une situation que je qualifierais d'insurrectionnelle", s'est inquiété sur l'île M. Le Franc. "L'heure doit être à l'apaisement (...) l'appel au calme est impératif". Le haut-commissaire a fait état d'"échanges de tirs de chevrotine entre les émeutiers et les groupes de défense civile à Nouméa et Paita" et indiqué avoir fait intervenir les policiers d'élite du RAID contre des émeutiers qui se dirigeaient vers un dépôt de gaz.
Ultimatum
En métropole, les députés ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi par 351 voix contre 153 le texte qui élargit le corps électoral. La réforme constitutionnelle devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.
Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens, Emmanuel Macron a précisé que ce congrès se réunirait "avant la fin juin", à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global.
Le texte voté par les sénateurs et maintenant les députés vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales dans l'archipel. Les partisans de l'indépendance jugent que ce dégel risque de réduire leur poids électoral et "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".
Mercredi, le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a "pris acte" de la réforme votée à Paris, mais déploré une "démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires de la Nouvelle-Calédonie".
Pour faire revenir le calme, certaines voix de droite et d'extrême droite ont réclamé l'intervention de l'armée. À l'inverse, la gauche a réclamé la suspension de la réforme constitutionnelle. "Tout doit être fait pour retrouver le calme et le dialogue", a plaidé le communiste Fabien Roussel.
Mercredi matin, faute d'approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d'attente devant les magasins, a constaté un correspondant de l'AFP.
Cinq choses à savoir sur la Nouvelle-Calédonie
Il s'agit d'une archipel à 18.000 km de Paris. Cette collectivité d'outre-mer à statut particulier rassemble 271.400 habitants, selon le dernier recensement (Insee 2019), et est située à quelque 18.000 km de la métropole et à 2.000 km de l'Australie.
Kanak et Caldoches
Les deux principales communautés sont les Kanak (41%), premiers habitants du pays, et la Communauté européenne (24%), dont les Caldoches, descendants des colons blancs. Une part grandissante de la population déclare toutefois désormais être métissée ou "calédonienne".
La province Sud, où se trouve Nouméa, concentre près de 75% des habitants, contre 18% en province Nord et 7% dans les îles Loyauté, peuplées très majoritairement de Kanak et plus pauvres. Le niveau de vie médian calédonien est sensiblement inférieur à celui de la métropole, avec de fortes disparités.
Une histoire de révoltes
Dès 1878, 25 ans après la prise de contrôle française, une révolte kanak éclate contre la spoliation des terres. Quelque 600 insurgés et 200 Européens sont tués, des tribus rayées de la carte et 1.500 Kanak contraints à l'exil.
Lieu de bagne de 1864 à 1896, la Nouvelle-Calédonie devient un Territoire d'outre-mer (TOM) en 1946, les Kanak obtiennent la nationalité française, puis le droit de vote. Les années 1980 sont marquées par des violences entre Kanak et Caldoches, dont le point culminant a été la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988, au cours desquels 19 militants kanak et deux militaires français sont tués.
Un mois plus tard, les accords de Matignon scellent la réconciliation, au travers d'un rééquilibrage économique et d'un partage du pouvoir politique. Ils sont suivis en 1998 par l'accord de Nouméa qui dote l'archipel d'un statut unique dans la République française reposant sur une autonomie progressive.
C'est dans ce cadre qu'un référendum en 2018 voit le non à l'indépendance l'emporter à 56,7%, sur fond de percée des indépendantistes, confirmée en 2020 (53,26% de non). En 2021 le non l'emporte à 96,5%, mais les indépendantistes contestent la validité du scrutin, marqué par une forte abstention en pleine épidémie de Covid-19.
La richesse du nickel
Si le secteur tertiaire domine, le nickel est le poumon économique de la Nouvelle-Calédonie, qui est le 3e producteur mondial (source USGS 2023) de ce minerai utilisé pour fabriquer l'acier inoxydable et les batteries des véhicules électriques.
Près d'un quart des emplois salariés du privé de l'archipel est lié au nickel, mais le secteur connaît une grave crise liée à la chute des cours, au coût de l'énergie et à la concurrence étrangère.
L'enjeu du corps électoral
Le Sénat, le 2 avril 2024, puis l'Assemblée nationale, dans la nuit de mardi à mercredi, ont approuvé une révision constitutionnelle prévoyant l'élargissement du corps électoral à tous les natifs calédoniens et aux résidents depuis au moins dix ans pour les élections provinciales. Pour être adoptée, cette réforme doit être approuvée par le Congrès à Versailles, qui devrait se réunir "avant la fin juin" selon le président Emmanuel Macron.
Les indépendantistes voient dans cette réforme du corps électoral une volonté de "minoriser encore plus" le peuple kanak et le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté une résolution demandant le retrait de la réforme, sur fond de manifestations et d'une vague de violences dans l'archipel, au cours de laquelle une personne a été tuée par balle.