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La péniche est chargée d'orge, prête pour un périple de plus de 250 kilomètres sur la Seine. La circulation sur le fleuve, "artère vitale" pour les céréales, sera contrariée pendant les Jeux olympiques. "C'est une année compliquée", souffle le capitaine.
Près de la barge amarrée au ponton du collecteur de céréales Soufflet Agriculture à Grigny (Essonne), une poignée de cygnes se régale des grains tombés à l'eau.
En cette matinée de fin juin, le ventre de l'Hermione, une péniche d'une capacité de 1.000 tonnes, est plein d'une orge de printemps récoltée en 2023.
"C'est la fin des stocks, il faut faire de la place pour la nouvelle récolte qui vient de commencer", explique Anthony Picard, chef de silo chez Soufflet.
La période des moissons, en juillet-août, est capitale pour la filière céréalière: des montagnes de grains d'orge, de blé puis de maïs quittent les fermes pour gagner les ports fluviaux en amont de Paris.
Une noria de petites barges traversent ensuite la capitale pour rejoindre Rouen, le port de fond d'estuaire par lequel transite aujourd'hui la moitié des exportations françaises de céréales, qui seront expédiées vers l'Europe, l'Afrique et jusqu'en Chine.
Chaque étape suppose des transbordements, des stockages dans des silos de transit, des contrôles, le respect d'horaires d'écluses...
Un casse-tête logistique qui "a failli virer au cauchemar" pour les JO (26 juillet-8 septembre en incluant les paralympiques), rappelle Jean-François Lépy, directeur général de Soufflet Négoce by InVivo, acteur européen majeur du commerce des grains et acheteur de la cargaison de l'Hermione.
La période des JO correspond au pic d'activité, avec près d'un million de tonnes de grains transportés sur le fleuve, soit le tiers du volume annuel.
Après des discussions toniques avec les autorités, les céréaliers ont obtenu de ramener les 15 jours de fermeture totale à la navigation - initialement prévus avant la cérémonie d'ouverture, organisée sur la Seine - à six jours et demi, du 20 au 26 juillet, avec des restrictions pour le reste de la période des Jeux.
"Déjà, en temps normal, c'est pas simple", remarque Jean-Pierre Pihen, capitaine de l'Hermione. Heureusement, il "connaît le coin", sait "où il y a des roches dans le fond du fleuve", redouble de vigilance à l'approche de zones prisées des plaisanciers.
"On sait quand on va être chargé, on ne sait jamais quand on sera à Rouen", résume-t-il.
- "Sur réservation" -
Ce matin-là, les éclusiers en amont de Grigny sont en grève. Le marinier croise les doigts pour que le mouvement ne s'étende pas. Et le "réviseur", qui doit inspecter la cale et la cargaison avant chargement au nom du client, a plus d'une heure de retard.
Il est 13H30 quand l'Hermione largue enfin les amarres. Les écluses sont vite franchies après le feu vert radio de l'éclusier.
La Seine est "encore haute", mais sans difficulté pour la navigation - qui peut être interdite quand le débit atteint 600 m3 par seconde.
Les bungalow des berges boisées du Val-de-Marne s'effacent peu à peu devant les parapets de pierre parisiens. Jean-Pierre Pihen maintient son allure: 14 km/h. Il ne lasse pas cette "promenade dans l'histoire" de France.
Passés les quais de Javel, à la sortie de Paris, la barge fera halte pour la nuit avant de retrouver les boucles normandes de la Seine et sa destination.
Ce ne sera "pas aussi fluide" pendant les JO: le marinier "vient de recevoir les horaires": "on devra naviguer sur réservation", "en partie de nuit", "pas l'après-midi". "Il y aura des places de stationnement pour attendre son tour."
Pour désengorger les zones d'attente, les céréaliers ont obtenu "deux passages en convoi", les 20 et 27 juillet, selon M. Lépy.
A bord, Emmanuelle Blanchet, présidente du groupe du même nom, est inquiète. Son entreprise, qui emploie le marinier via un contrat annuel, redoute l'arrêt total de ses autres activités, notamment avec les centrales à béton de Paris, interdites de fonctionner pendant les Jeux: "Cela va nous coûter des millions, pour le moment aucun chômage partiel n'est prévu".
Les mariniers devraient mieux s'en sortir: "la préfecture s'est engagée à rembourser les préjudices subis par les bateliers ou par les professionnels de la filière pour la période de fermeture totale", affirme M. Lépy, qui évalue le dédommagement à quelque "8.000 euros" pour une péniche comme l'Hermione.