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Avec un déficit qui dérape et des taux d'emprunt qui deviennent plus élevés en France que dans certains pays du Sud autrefois réputés dépensiers, les inquiétudes sur une potentielle attaque des marchés ressurgissent, comme durant la crise de la zone euro.
Le taux auquel la France emprunte à dix ans, une référence pour les investisseurs, est passé jeudi au-dessus de celui de l'Espagne pour la première fois depuis près de dix-huit ans sur le marché où les investisseurs s'échangent la dette déjà émise.
Ce basculement est le signe que les investisseurs jugent plus sûr de détenir de la dette espagnole que française. A quel point faut-il s'inquiéter pour les finances de la deuxième économie de la zone euro?
Que disent les chiffres?
Ils montrent un lent mais constant resserrement depuis deux ans de l'écart entre les taux réclamés par les investisseurs pour détenir de la dette française et ceux concernant ses partenaires du Sud: à une échéance d'emprunt de cinq ans, la dette française s'échange à un taux plus élevé que pour la Grèce, l'Espagne et le Portugal.
A dix ans toutefois, la référence pour les comparaisons internationales, le taux français est moins élevé que celui d'Athènes, mais supérieur à ceux de Lisbonne ou Madrid.
Traditionnellement, la dette des Etats les plus puissants économiquement se voit accorder des taux plus bas.
Là où les Etats européens empruntent directement auprès des investisseurs, c'est-à-dire le marché primaire, la situation est aussi visible sur les dernières opérations, la France ayant par exemple emprunté à six mois pour un taux de 3,12% le 23 septembre quand la Grèce a emprunté à 2,85% pour une échéance similaire le 25 septembre.
Ce resserrement est-il le signe de la santé éclatante des pays du Sud ou de celle déclinante de la France? "La force dominante est l'amélioration spectaculaire des performance des pays du Sud", répond à l'AFP Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.
"Mais la dégradation des finances publiques françaises et l'incertitude quant à la capacité de restaurer les comptes ne plaident pas en faveur de la France", poursuit-il.
Quelles sont les conséquences?
"L'incertitude budgétaire en France et la trajectoire qui va être donnée lors de l'adoption du futur budget commence à avoir des conséquences sur la capacité de refinancement du pays sur les marchés financiers", observe auprès de l'AFP Frédéric Rozier, gérant de portefeuilles chez Mirabaud.
La situation est encore sous contrôle dans la mesure où les taux d'emprunt de la France profitent de la baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) engagée cette année. Mais de potentielles tensions croissantes en raison des difficultés budgétaires dans le pays ne sont pas à exclure.
D'autant que les dérapages budgétaires coûtent cher à la France: la charge de la dette devrait passer de 46 milliards d'euros en 2022 à plus de 72 milliards en 2027, selon le programme de stabilité du gouvernement démissionnaire, un des principaux postes budgétaire français, évalué avant que la situation des finances publiques ne se dégrade encore cette année.
Les regards sont désormais tournés vers les agences de notation, Fitch le 11 octobre, Moody's le 25, et S&P Global le 29 novembre, qui évalueront la situation de la France et, s'ils dégradent la note française, pourraient mettre un peu plus de pression sur les taux d'intérêt.
Doit-on redouter une crise?
A ce stade non, de l'avis de la plupart des experts interrogés, car la France reste un pays solide, pilier de l'Union européenne et de la zone euro et dont l'économie est diversifiée.
La comparaison avec la crise des dettes en zone euro s'arrête aussi au contexte: l'étincelle à l'époque a été déclenchée par la révélation d'un mensonge de la Grèce sur l'ampleur de ses déficits, sur les braises fumantes de la crise financière de 2007-2008.
Les pays de la zone euro, France comprise, sont par ailleurs protégés par la BCE qui avait sauvé la zone euro et promis devant les investisseurs qu'elle ferait tout pour sauver la monnaie unique.
Son instrument phare adopté en 2022, le "Transmission protection instrument" peut lui servir à soutenir un Etat attaqué sur les marchés financiers. A condition en théorie que le pays ne soit pas sous procédure pour déficits excessifs, ce qui n'est plus le cas de la France qui fait l'objet d'une procédure à Bruxelles depuis juillet.