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Le président colombien Gustavo Petro est sous le feu des critiques des défenseurs de la liberté de la presse après avoir qualifié les femmes reporters de "poupées de la mafia", dans l'un des pays d'Amérique latine les plus dangereux pour les journalistes.
Sans la moindre ironie, M. Petro a fait ce commentaire lors de l'installation fin août de la nouvelle médiatrice pour les droits humains (ombudsman) Iris Marin, première femme à occuper ce poste dans le pays.
Le premier président de gauche de l'histoire de la Colombie s'insurge souvent contre les médias traditionnels, les accusant de soutenir les groupes armés ou les gros entrepreneurs et de chercher à ternir son image.
Depuis son investiture en août 2022, il communique pour l'essentiel via les réseaux sociaux, notamment son compte X.
Mais certains estiment qu'il est allé trop loin, dans un pays où des dizaines de menaces et agressions de toutes sortes sont signalées chaque année à l'encontre des femmes journalistes.
Le président Petro s'est insurgé contre "les (femmes) journalistes du pouvoir, les +poupées de la mafia+", les accusant d'avoir vilipendé les manifestations de 2019-2021 contre le précédent gouvernement de droite. M. Petro, à l'époque député, avait soutenu ces mêmes manifestations.
"Il n'y a pas de place pour la stigmatisation" des femmes journalistes en Colombie, a réagi la médiatrice Iris Marin.
- "Stéréotypes de genre" -
Selon Reporters sans frontières (RSF), la Colombie est "l'un des pays les plus dangereux du continent pour les journalistes", avec deux d'entre eux assassinés depuis le début de l'année.
La Fondation pour la liberté de la presse (FLIP) a déploré que les commentaires de M. Petro aient servi de base à des contenus en ligne "violents ou renforçant les stéréotypes de genre", faisant état de 171 cas de menaces et agressions, sans préciser leur nature exacte, à l'encontre de femmes journalistes depuis 2023.
"Nous observons avec inquiétude un climat tendu pour le travail journalistique en Colombie, exacerbé par les commentaires excessifs de Petro", a noté Carlos Jornet, de la Société interaméricaine de presse (SIP).
M. Petro n'est pas le seul dirigeant latino-américain à entretenir des relations tendues avec la presse. Parmi les autres exemples notables, le chef d'Etat mexicain Andres Manuel Lopez Obrador et les anciens présidents Rafael Correa (Equateur) et Jair Bolsonaro (Brésil).
Cependant, c'est la première fois qu'il s'en prend aux journalistes en raison de leur genre.
"La stigmatisation tue, raccourcit les vies, les rêves, les carrières... ", a estimé la journaliste et présentatrice colombienne Claudia Palacios dans une vidéo communiquée à l'AFP.
Plusieurs autres personnalités du monde de l'information ont condamné ses propos, qui ont suscité un vif débat en ligne dans le pays.
Contactée par l'AFP, la présidence a insisté sur le fait qu'elle reconnaissait "le rôle clé que jouent les femmes journalistes dans le renforcement de la démocratie et la construction du débat public".
En pleine tourmente la semaine dernière, le président Petro a surpris en signant un décret -- une première dans les Amériques -- visant à lutter contre la "stigmatisation" des journalistes par les fonctionnaires, y compris lui-même.
Cependant, ce qui aurait pu être un geste de réconciliation a été éclipsé par de nouvelles critiques à l'encontre de la presse. Jonathan Bock, directeur de la FLIP, a regretté "une occasion manquée".
Dans la foulée, une requête a été déposée auprès du Conseil d'Etat colombien, plus haute juridiction administrative, pour demander à M. Petro de présenter des excuses pour ses commentaires sur les "poupées de la mafia".