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Des "fermes à sang" de chevaux font polémique en Islande: "Le public en général est trop sensible", se défend un éleveur

En cette matinée d'automne, dans une vaste prairie verdoyante du sud de l'Islande, une quinzaine de juments gravides patientent avant d'être saignées pour la dernière fois de l'année.

Près de Selfoss, une "ferme à sang" assure la collecte sur les chevaux d'une hormone sanguine utilisée par l'industrie vétérinaire. Une pratique qui fait bondir les défenseurs des animaux.

Depuis la diffusion de vidéos de mauvais traitements il y a un an sur YouTube, le secteur est dans le collimateur... et l'anonymat de mise quand il s'agit de parler à la presse.

"Il n'y a aucun moyen de faire comprendre complètement au public ce type d'élevage", explique à l'AFP le patron des lieux, fataliste. "Le public en général est trop sensible".

La collecte du sang --plusieurs litres par animal-- vise à extraire la gonadotrophine chorionique équine (eCG ou PMSG), une hormone naturellement produite par les juments gestantes.

Conditionnée puis commercialisée par l'industrie vétérinaire, elle permet d'améliorer la fertilité chez les autres animaux d'élevage (vaches, brebis, truies...) à travers le monde.

Les poulains, eux, sont pour la plupart envoyés à l'abattoir.

Images choc

Avec l'Argentine et l'Uruguay, l'Islande est l'un des rares pays au monde, et le seul en Europe, où cette pratique controversée a cours. Des élevages sont aussi signalés en Russie, en Mongolie et en Chine.

Les images diffusées l'an dernier de chevaux affaiblis et d'employés brutalisant des juments ont provoqué une onde de choc à l'étranger mais aussi sur l'île.

Frappés, parfois mordus par des chiens, certains équidés se débattent jusqu'à épuisement.

Dans la ferme des environs de Selfoss, regroupées en file indienne dans une structure en bois spécialement aménagée, les juments patientent calmement.

Chacune leur tour, elles entrent dans des box. Des planches sont disposées autour de leurs pattes pour empêcher tout mouvement, puis un licol placé sur leur tête pour surélever celle-ci.

"Les chevaux (...) peuvent être stressés, s'agiter. Donc, toutes ces retenues sont essentiellement pour les protéger et éviter qu'ils ne se blessent dans le box", explique un vétérinaire polonais de 29 ans, également sous couvert d'anonymat.

Une anesthésie locale est d'abord pratiquée avant d'introduire une large canule dans la veine jugulaire. Des gestes que seul un vétérinaire diplômé est habilité à réaliser.
"Ça nous permet aussi de bien voir la veine car il faut savoir exactement où elle se trouve (...) pour injecter précisément", ajoute-t-il.

En quelques minutes, jusqu'à cinq litres de sang sont collectés par jument dans cette opération qui se répètera chaque semaine pendant huit semaines.

Activité lucrative

L'activité, qui dure de fin juillet à début octobre, est lucrative: l'exploitant islandais de Selfoss, par ailleurs avocat, en tire environ 9 à 10 millions de couronnes (entre 63.500 et 70.700 euros) par an.

"Dans de nombreux cas, les juments présentent des signes d'inconfort de court terme lors du prélèvement sanguin", précise Sigrídur Björnsdóttir, spécialiste équine à l'Autorité alimentaire et vétérinaire islandaise (MAST).

Mais "cela n'est pas considéré comme une altération grave à moins que les symptômes ne soient sévères, prolongés ou que la jument montre des signes de stress chronique".

En 2021, l'Islande comptait 119 fermes à sang et près de 5.400 juments gravides élevées dans le seul but d'être saignées, un chiffre qui a plus que triplé en dix ans.
L'hormone eCG/PMSG est transformée sous forme de poudre par la société islandaise Isteka.

Plus grand producteur d'Europe, la biotech traite environ 170 tonnes de sang par an. Sans doute moins cette année: après la publication des vidéos, certains exploitants ont quitté la profession.

"Les agriculteurs ont été durement touchés et choqués", déplore depuis ses bureaux à Reykjavik le directeur général d'Isteka, Arnthor Gudlaugsson.

S'il reconnaît des cas qui posent problème, M. Gudlaugsson estime que la vidéo, tournée en caméra cachée, était conçue "pour donner une description trop négative (...) du processus".

Les images ont en tout cas entraîné l'ouverture d'une enquête par la police et permis d'identifier les fermes impliquées.

Toutes les exploitations ont été inspectées cet été sans qu'aucune ne soit contrainte de fermer.

Le scandale a aussi déclenché un débat en Islande où la plupart des gens ont découvert l'existence de cette activité pourtant pratiquée localement depuis 1979.

"Cela nous fait réfléchir sur notre position en termes d'éthique", explique à l'AFP Rosa Lif Darradottir, vice-présidente de la toute nouvelle association pour le bien-être animal d'Islande.

"Fabriquer un médicament (pour) les animaux de production juste pour améliorer leur fertilité au-delà de leur capacité naturelle... La cause n'est pas noble", dit-elle.
La quantité de sang prélevée est aussi pointée du doigt.

"C'est purement et simplement du mauvais traitement des animaux et nous avons un mot pour ça: la cruauté animale", dit à l'AFP la député d'opposition Inga Sæland, à l'origine d'une proposition d'interdiction retoquée à plusieurs reprises.

Une nouvelle règlementation plus stricte est entrée en vigueur début août. Valable trois ans, elle doit permettre aux autorités de décider de l'avenir des "fermes à sang".

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