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Une quinzaine de femmes pétulantes sur scène et aucun homme en vue, Ariane Mnouchkine présente à Rio une version portugaise de la pièce québécoise "Les Belles-soeurs", s'éloignant pour la première fois du Théâtre du Soleil qu'elle a fondé.
Cette première incursion au Brésil également est aussi l'occasion pour le metteur en scène de théâtre de s'inquiéter, dans un entretien à l'AFP, de la situation "extrêmement alarmante" des artistes sous l'ère bolsonariste.
Après deux représentations au festival de Curitiba (sud), la première de "As comadres" (Les Marraines), spectacle musical très enlevé, a eu lieu jeudi à Rio, devant un public le plus souvent hilare.
Dans une cuisine des années 60, des femmes de 22 à 87 ans sont réunies pour coller des timbres. Un gynécée où les répliques fusent, où l'on rit, danse, chante, se lamente, se jalouse et s'étripe.
"Ce sont des femmes qui dans le chant expriment leurs frustrations, leurs malheurs, mais au fond on les voit pendant toute la pièce subir et ne pas sortir d'une certaine servitude volontaire", dit Ariane Mnouchkine. Celle qui a réussi à s'émanciper est rejetée.
Michel Tremblay, qui a écrit en 1965 la pièce dont a été tiré le spectacle musical d'un autre Québécois, René Richard Cyr, "est très dur sur leur petitesse, leur bigoterie, leur mesquinerie, leur égoïsme".
Mais "la pièce, ne serait-ce que parce qu'elle donne la visibilité à 15 actrices, est révolutionnaire. D'habitude on voit 15 hommes et deux femmes", dit Ariane Mnouchkine. Là, il y en a même 20 au total, avec le "choeur antique".
"C'est cela qui est fort, de voir la force collective de toute une palette de femmes de tous âges."
- "Un mépris pour les artistes" -
Certains ont pu voir "un appel à la résistance" dans la pièce qui se jouera jusqu'au 19 mai à Rio. "Je ne me permets pas de donner un mode d'emploi. Mais si les gens le reçoivent comme ça, tant mieux", dit Ariane Mnouchkine.
"Je pense des choses sur l'impact que peut avoir ce spectacle dans le Brésil d'aujourd'hui. Mais c'est aux gens qui le voient de le dire. Nous, on doit jouer le spectacle."
"On a repris la mise en scène de René Richard Cyr. C'est vraiment sa mise en scène. J'ai vu ce spectacle à Paris et l'ai trouvé extraordinaire, extrêmement émouvant et drôle."
"Après, que cela fasse réfléchir ou que cela touche ou soulève des questions, j'espère bien. Mais ce n'est pas moi de dire ce que les gens doivent en penser."
Moins réservée quand on l'interroge sur la situation des artistes au Brésil depuis l'élection d'un président d'extrême droite, Ariane Mnouchkine ne cache pas son inquiétude.
"Je ne vais pas comparer le sort des artistes à celui des indiens du Brésil" (qui viennent de publier une tribune évoquant les "prémices d'une apocalypse" à l'occasion des 100 jours du mandat de Jair Bolsonaro), mais "les artistes sont dans une situation extrêmement alarmante et qui devrait alarmer les artistes du monde entier."
"Il y n'avait déjà pas beaucoup de moyens, mais là apparemment il s'installe (...) un mépris pour les artistes", ajoute-t-elle. "Il y a des mensonges (sur) comment les artistes vivent", sur leurs financements. "C'est grave."
Les milieux artistiques au Brésil se plaignent de la baisse des subsides d'un gouvernement qui a supprimé le ministère de la Culture et a lancé une croisade contre "le marxisme" dans la culture.
"Je connais une petite partie du milieu artistique brésilien, et je vois leur angoisse, leur tristesse. C'est rare au Brésil que les gens montrent de la tristesse. Il y a une dignité de la gaîté ici", ajoute Ariane Mnouchkine.
- "Peut-être en France" -
Pour "As comadres" c'est la première fois, et à 80 ans, qu'elle monte un spectacle "de A à Z avec des comédiens qui ne sont pas du Théâtre du Soleil", la compagnie qu'elle a fondée en 1964.
Mais c'est aussi "la première fois que le Théâtre du Soleil fait un spectacle avec un autre metteur en scène, (le Canadien) Robert Lepage", note-t-elle. "Ca m'a donné un peu de temps, et je pouvais le faire sans trahir le Théâtre du Soleil."
"J'espère que la pièce ira partout au Brésil, en Amérique latine, au Portugal. Et peut-être en France", conclut-elle.