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Flanquée de 13 grues, la "tour à cyclones" en béton domine d'une centaine de mètres la campagne du Poitou, élément-clé d'une cimenterie ultramoderne en construction à Airvault (Deux-Sèvres), censée produire un ciment moins carboné sur fond de réchauffement climatique.
Quelque 500 ouvriers s'affairent sur ce chantier "pharaonique" du géant allemand Heidelberg Materials qui investit environ 350 millions d'euros pour réduire de moitié, d'ici 2030, les émissions de CO2 du site.
Cette cimenterie de 21 hectares doit entrer en service courant 2025 et prendre le relais de son historique voisine, fondée en 1919, en conservant ses 150 salariés.
L'usine d'Airvault (549.000 tonnes de CO2 émises en 2022) a été classée comme le 12e site industriel le plus émetteur de gaz à effet de serre en France, dans un secteur qui représente à lui seul 7% des émissions mondiales de CO2.
"Nous sommes le deuxième cimentier mondial. Le fait qu'on se décarbone, c'est visible au niveau de la planète", plaide Bruno Pillon, président des activités France de Heidelberg Materials.
Le procédé traditionnel de fabrication du ciment nécessite beaucoup d'énergie et émet environ 800 kg de CO2 par tonne produite, ratio supérieur à celui du transport aérien.
Mais selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), le déploiement d'ici 2050 des meilleures technologies existantes "aboutit à 50% de baisse d'émissions, pour un surcoût de production compris entre 15 et 25%".
- Fours rotatifs -
À Airvault, les deux immenses fours rotatifs du site historique, tubes chauffés à 1.450°C, transforment en lave le "cru", granulé blanc de calcaire broyé. Après refroidissement, le "clinker", granulé noirci aux propriétés hydrauliques nouvelles, est prêt à être mélangé à d'autres matériaux pour former du ciment, ingrédient de base du béton.
Cette cuisson, dite calcination, génère par réaction chimique un CO2 incompressible qui représente les deux tiers des émissions d'une cimenterie, le reste correspondant à la dépense énergétique.
Avec sa nouvelle "tour à cyclones" et un refroidisseur "de dernière génération", Heidelberg cible cette dernière part en remplaçant 90% des combustibles fossiles par des combustibles alternatifs, comme des déchets non recyclables.
"La tour de préchauffage avec précalcinateur est vraiment le levier de la décarbonation", explique Bruno Manivet, directeur de la cimenterie. "À l'horizon 2030, ça correspond à un engagement du groupe, sur l'ensemble du globe, d'arriver à 400 kg de CO2 la tonne de ciment".
Un rapport du Réseau Action Climat reconnaissait en 2023 "une réduction des émissions globales [de Heidelberg France] depuis 2019", qui restait cependant "à confirmer".
Le groupe, qui investit 650 millions d'euros en France, vise la neutralité carbone en 2050.
Pour s'attaquer aux deux tiers d'émissions incompressibles, Heidelberg fait partie du consortium GOCO2 qui prévoit de capter et transporter le gaz carbonique d'origine industrielle vers des sites de stockage ou de valorisation.
Le groupe compte aussi réduire la proportion de "clinker" dans son ciment. Une voie explorée par la start-up française Hoffmann Green qui produit des ciments sans cuisson, composés de "laitiers de sidérurgie" (déchets de la fabrication de l'acier), de boues d'argile et de gypse.
- Objectif "peu crédible" -
L'organisation professionnelle France Ciment chiffre à 3,8 milliards d'euros le coût de décarbonation de la filière tricolore, deux fois son chiffre d'affaires annuel.
L'objectif de la neutralité semble néanmoins "peu crédible", selon Morgane Moullié, chargée de projet à l'Observatoire de l'immobilier durable (OID), qui questionne la méthodologie retenue — par exemple pour le laitier de sidérurgie, parfois compté "comme zéro" dans le bilan carbone du ciment car issu d'un réemploi.
"Je ne pense pas qu'on prenne le problème par le bon bout", poursuit-elle, citant la nécessité d'aller vers des matériaux biosourcés comme la pierre ou le bois, "plus prometteurs".
"Si l'on généralisait des matériaux à faible impact carbone dans le bâtiment neuf à l'horizon 2030, on aurait une réduction de 22% des émissions", confirme Andrés Litvak, responsable Bâtiment durable à la direction territoriale sud-ouest du Cerema, établissement public d'expertise sur la transition écologique.
Mais "si l'on regarde le marché, la solution de facilité, c'est le béton", faute d'offre suffisante de matériaux biosourcés, ajoute-t-il en soulignant aussi la nécessité de ce matériau pour la construction des fondations.