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Les drames sociaux font le succès du cinéma iranien dans les festivals internationaux, comme celui de Cannes, mais ce sont les comédies qui sont applaudies dans les salles obscures en Iran.
Avec environ 750 salles, le cinéma est l'un des loisirs préférés des Iraniens, qui aiment s'y retrouver le weekend pour se distraire d'un quotidien souvent difficile.
C'est ainsi que les comédies comiques ont trusté les six premières places du box-office l'année dernière, qui s'est terminée en mars selon le calendrier iranien, au cours de laquelle 28 millions de billets de cinéma ont été vendus.
"Ces films offrent une intrigue et une structure simple qui les rendent accessibles à tout le monde", explique à l'AFP Houshang Golmakani, un critique réputé.
L'action s'y déroule dans une ambiance décontractée avec des héros très typés: femmes séduisantes, jeunes en quête d'une vie meilleure, Don Juan et hommes pieux maladroits.
"On a besoin de rire car la situation économique et sociale est difficile. Je vais au cinéma et j'oublie mes malheurs pendant quelques heures", témoigne Milad, un commerçant de 47 ans, interrogé devant un cinéma de Téhéran.
Elaheh Kargar, une infirmière de 24 ans, explique aussi choisir "naturellement la comédie" pour "passer un bon moment" au cinéma.
L'un des succès de ces derniers mois, la comédie Hôtel raconte l'histoire pleine de quiproquos d'un homme qui cache sa fiancée à son ex-femme afin de pouvoir emprunter de l'argent à la tante de cette dernière. Elle a été tournée sur l'île de Kish, dans le Golfe, où les Iraniens aiment à se ressourcer dans un cadre décontracté.
- Nostalgie -
Même s'il a réussi à attirer 6,2 millions de spectateurs, Hôtel a été devancé par Fossil qui, avec 7,5 millions, s'est hissé en tête des films les plus vus de l'histoire du cinéma iranien.
Cette comédie relate les péripéties d'un groupe de musiciens avant et après la Révolution islamique de 1979, qui a banni la musique pop pendant plus de deux décennies.
Elle joue sur la nostalgie de l'âge d'or de la musique populaire en reprenant de nombreux succès chantés par des comédiens ressemblant aux stars des années 1950 à 1980, dont beaucoup se sont exilées aux Etats-Unis.
"Quand nous avons projeté Fossil, la salle était toujours pleine. Ce film a relancé le cinéma, entré en récession à cause du Covid. Même maintenant, si nous le projetons à nouveau, la salle sera pleine", témoigne anonymement un employé du cinéma Azadi, à Téhéran.
Fossil n'a pas fait rire les ultraconservateurs. Le journal Kayhan l'a accusé de promouvoir la culture de l'ère du chah, "la promiscuité" et "l'occidentalisation". Il a appelé les responsables à "bloquer l'influence culturelle des ennemis" sur la jeune génération.
De nombreuses comédies utilisent la satire pour critiquer à demi-mots le contrôle de la République islamique sur la jeunesse.
Le film Dynamite raconte ainsi les déboires de deux séminaristes chiites qui, en emménageant dans un appartement, deviennent les voisins d'un vendeur de cannabis et de deux jeunes influenceuses d'Instagram.
- "Valeurs" -
Les réalisateurs tiennent compte des restrictions imposées par la République islamique: les femmes portent le hijab, les hommes et les femmes ne se touchent pas et l'alcool n'est pas montré.
Mais cela ne les empêche pas de moquer les "valeurs promues par la culture officielle", comme celle de "protéger à tout prix la famille", souligne le critique Houshang Golmakani. Même si, in fine, les films "se terminent sans réellement porter préjudice à ces valeurs".
Les autorités tolèrent les comédies car "elles "répondent à des besoins de la population", précise l'expert.
Le public fait face à un choix limité en raison du faible nombre de films étrangers, projetés dans les cinémas alors que l'Iran est soumis à des sanctions internationales.
Les spectateurs ont pu voir des films de réalisateurs iraniens diffusés à l'étranger comme Asghar Farhadi, l'auteur oscarisé d'Une Séparation, et Saeed Roustaee (La Loi de Téhéran).
Mais trois films remarqués par la critique internationale - Leila et ses frères, Troisième Guerre mondiale et Beyond the wall - n'ont pas été montrés au public.
Le film iranien en compétition à Cannes, "The seed of the sacred fig", de Mohammad Rasoulof, ne devrait non plus être diffusé en Iran après la fuite à l'étranger du réalisateur, condamné à cinq ans de prison.
Le succès des comédies pousse les producteurs à les privilégier au détriment des drames sociaux, qui sont "de plus en plus marginalisés" à une "époque où les coûts augmentent", souligne M. Golmakani, craignant que "la production excessive de comédies n'affecte la qualité globale du cinéma iranien".