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Grand Entretien - Richard Bailey: "Des événements dans le Pacifique entraînent des répercussions bien au-delà de leurs frontières"

Visionnaire écologique, Marlon Brando a voulu faire d’un atoll polynésien, Tetiaroa, le plus bel endroit au monde. Transformation réussie par son ami Richard Bailey, le président et CEO de Pacific Beachcomber, une chaîne d’hôtels de luxe en Polynésie Française, qui a créé pour Brando un refuge où se mêle luxe, et respect de l’environnement. 

•    Inspiré par Marlon Brando, l'hôtel Brando incarne la symbiose luxe-préservation, où chaque séjour finance recherche et conservation sur Tetiaroa.
•    Système autonome novateur au Brando : climatisation par eau de mer profonde, énergie solaire, et zéro émission pour un impact environnemental minimal.
•    Agriculture durable enrichie par compostage des déchets organiques et système ingénieux de gestion d'eau, maximisant l'autosuffisance du Brando.
•    Le Brando, via les contributions des clients, soutient la Tetiaroa Society pour la recherche et l'éducation sur la biodiversité, illustrant un modèle de tourisme durable réplicable mondialement.

Pourriez-vous nous décrire la vision environnementale qui a guidé la création de l'hôtel Brando ?

Cette vision innovante du tourisme environnemental a pris forme à la suite d’une série de rencontres privilégiées que j'ai eues avec l'acteur Marlon Brando, entre 1999 et 2003, autour de son île. Ces échanges ont été axés sur la réflexion de ce que nous pourrions imaginer pour l'île et les actions appropriées à y mener. Marlon Brando était profondément préoccupé par l'avenir de son île, notamment à mesure que sa santé déclinait.

L'idée qui en a découlé était de créer un modèle touristique où la présence des visiteurs n'aurait pas un impact écologique négatif sur le lieu, mais contribuerait positivement à travers des initiatives de recherche, de conservation et d'éducation. Ainsi est née l'idée d'une symbiose entre l'accueil des clients à l'hôtel (35 villas et une résidence) et la préservation scientifique de l'île. Les clients de l'hôtel, consciemment ou non, deviennent des acteurs du changement positif, leur séjour contribuant à l'amélioration de l'écosystème local du site.

Le centre de recherche que nous avons fondé, Tetiaroa Society, complémentaire de l'hôtel Brando, est chargé de la protection de l'île et de la recherche sur les écosystèmes fragiles des atolls du Pacifique. Il symbolise l'engagement de notre établissement à préserver cet environnement unique tout en offrant une expérience touristique responsable et enrichissante.

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Le testament de l'acteur Marlon Brando stipule que Tetiaroa doit contribuer à la préservation de l'environnement et à l'étude de la biodiversité. Comment celle-ci est mise en œuvre au quotidien ? 

Oui, comme je l'évoquais, notre projet a débuté face à la nécessité de fournir des services essentiels tels que l'eau, l'électricité, le traitement des déchets, la production agricole de produits frais, et la gestion de l'énergie et d'autres services courants. En milieu urbain, ces services sont souvent assurés par des infrastructures publiques ou des concessionnaires. Ainsi, lorsque vous allumez la lumière ou tirez la chasse d'eau, vous ne vous souciez guère de l'origine de ces commodités. De même, les déchets sont collectés régulièrement sans que vous ayez à y penser.

Cependant, sur cette île, la situation était tout autre. Il n’y avait rien. Il n'existait aucun service public capable de fournir ces commodités essentielles.

Nous étions donc confrontés au défi de créer de toutes pièces un système autonome capable de répondre à ces besoins fondamentaux, sans nuire à l'environnement unique de l'île. Cette tâche impliquait non seulement la mise en place d'infrastructures adaptées, mais aussi une réflexion approfondie sur la manière de les intégrer de manière écologique et durable dans cet écosystème isolé.

L'achat de l'île par Marlon Brando fut le début d'une prise de conscience sur les défis du développement durable

Pour bien comprendre, Tetiaroa c’est un atoll mais qui ressemble à quoi ? 

Tetiaroa est un atoll situé à une soixantaine de kilomètres de Tahiti, caractérisé par une barrière de corail continue formant un anneau autour de son lagon.

Cet atoll est composé de 12 îlots, chacun formant une petite île entourant le lagon. Sur l'un de ces îlots se trouve notre hôtel. Lors de l'acquisition de l'île par Marlon Brando, l'endroit était vierge de toute construction, ce qui a posé un défi unique en termes de développement.

L'achat de l'île par Marlon Brando fut le début d'une prise de conscience sur les défis du développement durable. Il a rapidement réalisé la difficulté de construire sur une île privée, surtout dans un souci de préservation de son environnement fragile. Face à ces défis, l'approche adoptée a consisté à utiliser la science, la technologie et l'innovation pour surmonter les obstacles. Chaque aspect du développement de l'île a dû être pensé avec les moyens les plus modernes et respectueux de l'environnement, dans le but de préserver la nature et l'intégrité écologique de Tetiaroa. 

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Quels sont les exemples concrets que vous avez dû prendre pour minimiser votre impact environnemental sur l’éco système fragile de cet atoll? 

Lorsque nous avons débuté nos discussions sur le développement de Tetiaroa, Marlon Brando exprima son désir de créer une communauté respectueuse de l'environnement, dénuée de toute énergie fossile. Face à cette ambition, j'ai d'abord souligné le défi que représentait la climatisation, compte tenu de sa consommation énergétique élevée dans les climats tropicaux. Brando insistait cependant sur la nécessité d'offrir un confort optimal avec la climatisation à nos clients. Sa solution, surprenante mais visionnaire, était de puiser de l’eau à 5.5 degrés dans les profondeurs de la mer, à moins 930 mètres.

Cette idée, initialement perçue comme absurde, s'est avérée extrêmement ingénieuse. Il m’a présenté un chercheur à Hawaï qui m'a confirmé la faisabilité théorique de ce projet. Nous avons ainsi mis en place le premier système de climatisation par eau de mer profonde (SWAC) au monde, d'abord dans mon hôtel à Bora Bora, puis à Tetiaroa.

Ce système de climatisation innovant assure les trois quarts de nos besoins énergétiques sur l'île. Pour le reste, nous utilisons l'énergie solaire. De plus, nous avons la capacité de produire de l'énergie à partir de l’huile de coprah, un biocarburant extrait des noix de coco. Grâce à ces initiatives, nous avons réussi à établir un bilan énergétique neutre en carbone, avec une empreinte gaz à effet de serre nulle. 

Quelle stratégie avez-vous adopté pour la gestion des déchets et le recyclage ?

Sur l'île, nous adoptons une approche stricte en matière de gestion des déchets : l'utilisation du plastique est totalement proscrite, conformément à nos principes de préservation de l'environnement. Dans notre démarche écologique, nous accordons également une attention particulière à la gestion des déchets organiques. L'ensemble de ces déchets, provenant principalement des restes de cuisine, est collecté et soumis à un processus de compostage accéléré. Grâce à des machines spécifiques fonctionnant sous pression et à haute température, nous transformons ces déchets en un terreau fertile en l'espace de 24 heures.

Le sol des atolls, naturellement très pauvre, bénéficie grandement de ce terreau enrichi. Nous l'utilisons pour améliorer la qualité du sol de nos jardins, ce qui contribue directement à la floraison de notre agriculture locale. Cette initiative s'avère d'autant plus significative que l'île accueille en permanence environ 200 personnes, entre clients et personnel. Ainsi, gérons efficacement les déchets organiques, et nous les convertissons en une ressource précieuse qui soutient notre agriculture et enrichit l'écosystème de l'atoll. 

Que produisez-vous comme fruits et des légumes avec ce moyen de compostage ? 

Nous cultivons une variété de produits agricoles locaux, dont des tomates, concombres, aubergines, le uru, qui est le fruit de l'arbre à pain, ainsi que des fruits tels que des figues, des papayes, des agrumes et bananes. Notre jardin regorge également d'épices et d'herbes aromatiques, y compris de la menthe, qui sont essentielles pour notre cuisine. 

Cette production florissante est directement liée à notre politique de recyclage des déchets organiques. En transformant ces déchets en compost, nous enrichissons le sol de nos jardins, ce qui permet de soutenir une agriculture riche et variée. 

L'eau étant une ressource précieuse sur une île, quelles pratiques avez-vous mises en place pour en assurer une utilisation durable ?

La production d'eau potable sur l'île est le résultat d'une combinaison judicieuse de plusieurs sources : l'eau dessalée, l'eau de pluie et l'eau de la nappe phréatique. Nous avons mis en place trois réseaux d'eau distincts pour répondre efficacement à différents besoins. Le premier réseau est dédié à l'eau potable, utilisée pour les robinets et les douches. Le deuxième réseau, que nous appelons l'eau technique, est spécifiquement utilisé pour la blanchisserie et les toilettes. Enfin, le troisième réseau distribue l'eau issue directement de notre station d'épuration pour l'irrigation de nos jardins.

Ce système de réseaux séparés repose sur un principe moderne : la purification de l'eau requiert de l'énergie, et nous purifions donc l'eau en fonction de son utilisation prévue. 

L'eau potable, nécessitant un degré de pureté élevé, est la plus énergivore en termes de traitement. Ainsi, la mise en place de ces réseaux distincts nous permet de réduire considérablement nos besoins énergétiques et de gérer avec précision la consommation d'eau potable, en fonction de la présence des clients et des besoins de la communauté.

La nappe phréatique de l'île est particulièrement fragile, et nous prenons donc soin de ne pas la surexploiter. En conséquence, notre approvisionnement en eau potable se compose d'un tiers d'eau de la nappe phréatique, d'un tiers d'eau de mer dessalée, et d'un tiers d'eau de pluie

Nous avons réussi à éradiquer les rats et les moustiques de l'atoll

La Tetiaroa Society, une ONG scientifique se consacre à la faune marine. Comment cette ONG protège-t-elle la biodiversité locale de Tetiaroa ?

Notre démarche environnementale à Tetiaroa s'articule autour de trois axes principaux : la recherche, la conservation, et l'éducation. Nous collaborons avec une douzaine d'institutions de recherche scientifique internationales pour mener des études approfondies sur l'atoll.

L'axe de la conservation se concentre sur la protection et la préservation des écosystèmes uniques de Tetiaroa. Nous menons des projets de recherche variés, notamment sur les requins, les crabes de cocotier, et les tortues vertes. Par exemple, depuis une dizaine d'années, nous observons une augmentation remarquable des pontes de tortues vertes sur l'île, grâce à nos efforts de contrôle du braconnage. Cette situation a créé une base de données riche et précieuse sur cette espèce.

En outre, nous avons réussi à éradiquer les rats de l'atoll, une réalisation rare et significative qui suscite l'intérêt scientifique pour étudier les impacts de cette absence sur la flore et la faune. Cette éradication a notamment conduit à une augmentation notable de la population d'oiseaux, qui nichent au sol sans la menace des rats.

Notre troisième axe, l'éducation, consiste à inviter des jeunes, des écoliers de Tahiti, ainsi que des universitaires internationaux, à découvrir les principes du développement durable et à étudier la riche biodiversité de l'atoll. Cette démarche éducative permet de sensibiliser les jeunes générations aux enjeux écologiques et de les impliquer activement dans la préservation de l'environnement.

Nous avons également éradiqué les moustiques de l'île, sans pulvérisation d'insecticides, en introduisant des moustiques génétiquement modifiés qui ont stérilisé les femelles en les fécondant. Une réalisation qui intéresse grandement les entomologues. 

Qui finance donc cette ONG ? 

Le financement de nos projets de recherche et de conservation à Tetiaroa provient en grande partie de nos clients. Précisément, trois quarts de ce financement est assuré par eux, directement via un pourcentage prélevé sur les revenus de chaque séjour. L'hôtel verse ainsi 1,5% de ses revenus à Tetiaroa Society par le biais de dons directs que nos clients choisissent de faire après avoir pris connaissance des activités et des projets menés sur l'île.

C’est au total un budget de presque un million de dollars. 

Nos clients, souvent curieux et bien éduqués, sont désireux d'avoir un impact positif sur l'environnement. Après avoir découvert les diverses initiatives et projets de recherche et de conservation menés sur l'atoll, nombreux sont ceux qui se sentent inspirés et motivés à contribuer davantage. Ces dons directs de la part de nos clients représentent une source significative de soutien financier pour Tetiaroa Society, permettant de poursuivre et d'étendre nos efforts dans la préservation de cet écosystème unique et la promotion d'une approche durable du tourisme.

Le défi majeur ici n'est pas tant l'élévation du niveau de la mer, mais plutôt les variations de température et les modifications des cycles météorologiques, influençant la fréquence et l'intensité des tempêtes

Est-ce que cet hôtel pourrait être source d’inspiration pour un développement éco-durable pour le tourisme mondial ? 

Notre conception du tourisme de luxe intègre une dimension éducative, subtile mais profonde, pour nos clients. À travers leur séjour, ils découvrent qu'il est possible de vivre en harmonie avec notre monde, en adoptant un mode de vie plus léger et respectueux de la nature. Cette expérience leur montre qu'au lieu de simplement extraire des ressources, l'homme peut vivre en symbiose avec l'environnement, en se rappelant qu'il en fait partie intégrante.

L'impact de cette prise de conscience est notable une fois qu'ils rentrent chez eux. Cela leur offre une perspective renouvelée sur leur propre relation avec la nature. Notre objectif n'est pas de prêcher ou de forcer le changement, mais plutôt de les sensibiliser en douceur aux enjeux environnementaux, par le biais d'une expérience touristique de premier ordre.

Dans notre hôtel, le client bénéficie de tout le luxe et du confort désiré, tout en ayant un impact positif sur l'environnement, qu'il en soit conscient ou non. Nous ne cherchons pas à modifier le comportement de nos clients de force, mais plutôt à intégrer des technologies et des pratiques qui minimisent et transforment leur impact en une contribution positive.

De plus, en ayant la possibilité de rencontrer des scientifiques et d'apprendre sur le terrain, nos clients prennent conscience des enjeux écologiques. La beauté de l'endroit, sa préservation, devient alors une valeur ajoutée indéniable à leur expérience, les incitant naturellement à vouloir préserver ce cadre exceptionnel.

Vous êtes dans un des endroits sur Terre les plus vulnérables en termes de changements climatiques, quels sont les futurs projets ou initiatives environnementales que vous envisagez pour continuer à innover dans le tourisme durable ?

Vous savez, il reste encore beaucoup à faire sur Tetiaroa. Comprendre que notre action sur l’atoll n'est pas une solution globale au changement climatique, mais une étape significative vers une meilleure compréhension est un pas dans la bonne direction. Le défi majeur ici, au cœur du Pacifique, n'est pas tant l'élévation du niveau de la mer, mais plutôt les variations de température et les modifications des cycles météorologiques, influençant la fréquence et l'intensité des tempêtes.

La préservation de la santé des coraux est un enjeu central pour nous, découvrant que le maintien d'un atoll en bonne santé le rend bien plus résistant face aux perturbations écologiques. Par exemple, en éliminant les espèces invasives comme les rats, nous favorisons un environnement propice pour la nidification des oiseaux, dont le guano joue un rôle chimique essentiel dans la santé des coraux.

L'atoll de Tetiaroa, purement organique, dépend de l'accumulation de matière organique pour sa survie. Il n’y a plus rien de volcanique ici. La moindre altération de cet équilibre fragile, par extraction ou introduction d'espèces non endémiques, peut réduire considérablement sa résilience. Notre travail vise donc à préserver cet écosystème, un pilier crucial pour lutter contre les impacts du changement climatique sur la planète.

L'élévation de la température de l'eau de mer, menant à son acidification, est une autre préoccupation majeure. Cette baisse du pH de l'eau affecte directement des éléments vitaux de la chaîne alimentaire, avec des répercussions considérables pour la vie humaine. Si la montée des eaux menace certaines îles, pour Tetiaroa, avec son dénivelé de cinq mètres, l'urgence immédiate réside dans l'acidification des eaux et la disparition des coraux.

En fin de compte, tout dans un atoll est connecté : poissons, coraux, oiseaux, tortues, crabes, requins. Perturber un élément de cet écosystème, toucher à cette équation, c'est compromettre son intégrité globale. Notre but est d'illustrer à nos clients cette interconnexion, en leur montrant que les événements dans le Pacifique entraînent des répercussions bien au-delà de leurs frontières, remettant en question l'idée que ce qui se passe dans une partie éloignée du monde ne vous affecte pas en Europe ou en Amérique. En vérité, ce que je souhaite faire découvrir à nos clients, c'est que le monde est comme ça, et que tout est interdépendant sur notre planète.

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