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Un enquêteur de la police fédérale, soutenu par l'État représenté par la ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden, reprochait à Sudinfo d'être identifiable dans diverses publications concernant le scandale du Qatargate et d'avoir violé le secret de l'instruction.
Le tribunal de première instance de Namur a largement débouté l'État belge, qui avait déposé une plainte en référé concernant certaines publications du média Sudinfo sur l'affaire Qatargate. La juge a déclaré non fondée la demande de suppression des publications du média à propos du Qatargate et constaté une demande de censure préalable, contraire à la Constitution.
Cette affaire renvoie à une enquête du parquet fédéral belge visant des actes présumés de corruption au sein du Parlement européen. Le policier avait saisi en urgence la justice pour que le journal supprime les publications mises en cause - toujours accessibles en ligne - et interdise au quotidien de publier à l'avenir des contenus "similaires".
Plus précisément, il s'agissait de cinq publications: une vidéo publiée sur TikTok, trois articles d'un même journaliste (cité nommément dans la plainte) et l'enregistrement d'une conversation téléphonique au cours de laquelle le policier tient des propos virulents à l'encontre de la justice et des juges. Cet enregistrement avait été réalisé à l'insu du plaignant.
Dans une décision rendue mardi et partagée jeudi par Sudinfo et l'Association des journalistes professionnels (AJP), le tribunal namurois a estimé que ces requêtes étaient infondées. Dans le cas de la censure préventive invoquée par l'État, il souligne particulièrement le caractère "téméraire" d'une telle demande, "aussi visiblement contraire à la Constitution" et à la Convention européenne des droits de l'homme.
La juge estime en outre que le caractère urgent de la plainte, qui fonde une action en référé, n'est pas motivé. "Chaque jour où ces publications demeurent aggrave davantage encore l'atteinte aux droits à l'image et à la vie privée de" l'inspecteur, "ainsi qu'à l'image du SPF qui l'emploie", argumentait l'État. Cependant, note le tribunal, les plaignants ont accepté le 17 juillet de fixer les plaidoiries au 15 octobre, soit "pas moins de trois mois" plus tard.
L'État belge et son fonctionnaire ne précisent pas non plus le "préjudice important" qu'ils auraient subi." À supposer même que ce préjudice existe, poursuit l'ordonnance, "de nombreux médias européens ont relayé et relaient toujours les informations contestées, de sorte qu'on peine même à percevoir l'intérêt de la présente procédure au regard de 'l'audience' que cette affaire connait, y compris dans son volet dysfonctionnel qui, en substance, met en cause l'orthodoxie des pratiques du demandeur". Ce dernier ne conteste d'ailleurs pas la véracité des publications qu'il critique, pointe la décision de justice.
"Les informations qui se déduisent de la vidéo, des articles et peut-être surtout de l'enregistrement téléphonique litigieux contribuent incontestablement à d'un débat d'intérêt général de nature à intéresser le public", reconnait la juge. "Il est important en effet que les citoyens, lecteurs et internautes, aient connaissance de certaines pratiques de la police en ce type de dossier particulièrement sensible." Ces informations ne peuvent donc être considérées comme relevant de la vie privée de l'inspecteur, conclut-elle.
Le policier relève par ailleurs "de la catégorie des personnalités publiques qui doivent nécessairement tolérer une certaine exposition médiatique". Une exposition que le fonctionnaire semble lui-même avoir acceptée puisqu'il "publie régulièrement des messages sur les réseaux sociaux en faisant état de sa qualité d'inspecteur attaché à l'Office central de lutte contre la corruption", ponctue le tribunal.
Par cette décision, le tribunal met donc totalement hors de cause le groupe Sudmédia et son journaliste. Sudinfo s'est réjoui de la décision "sans équivoque" du tribunal namurois. "Dans le contexte actuel où les actions de censure préalable des médias se multiplient devant la justice (...), il est bon de lire une telle décision pour l'avenir de la liberté de la presse."