Partager:
Eric-Emmanuel Schmitt est écrivain et dramaturge. Il a connu Alain Delon. Il évoque un acteur hors-du-commun.
Fin des années 90, Alain Delon a joué dans l'une de vos pièces, "Variations énigmatiques". Que retenez-vous de cette expérience?
Eric-Emmanuel Schmitt: Je n'ai jamais vu un acteur qui avait un charisme pareil. Quand il entrait sur scène, on avait l'impression qu'une panthère noire s'était échappée du zoo et qu'il y avait un danger. C'est-à-dire qu'il était aussi lumineux que sombre. C'était quelqu'un qui occupait l'espace d'une manière absolument incroyable. Et moi, ce que j'ai vu, c'est sa peur et son humilité. Parce qu'on parle toujours du fait qu'il parlait de lui à la troisième personne. Mais ce n'est pas aussi simple que ça.
Cela faisait 30 ans qu'il n'était pas monté sur scène à ce moment-là.
E.E.S: Il était l'immense star française, la star numéro un. Et il prenait le risque de monter sur scène pour jouer cette histoire d'amour. Et il s'est préparé pendant des mois. Il voulait savoir le texte, la musique du texte, il n'en changeait pas un mot, pas une virgule. Et en fait, il se préparait comme un acteur et pas comme un comédien. Et il précisait toujours ça, qu'il était acteur et pas comédien. Comédien, c'est l'homme de théâtre qui a appris à fabriquer des personnages.
Lui, je l'ai vu pendant plusieurs mois, en fait, devenir le personnage pour, j'allais dire, la prise par la caméra. Mais là, c'était l'ouverture au public, la première de théâtre. Et ce jour-là, il sonnait sur scène avec exactement le même naturel qu'au cinéma, Avec cette espèce de mélancolie profonde qui était la sienne. Parce que c'était, c'était un personnage étrange Alain Delon. Il avait un physique clair, mais il avait une âme sombre. Et c'est ça qu'il a mis sur les écrans de cinéma et qu'il portait aussi dans la vie. Quelqu'un qui avait tout pour être heureux, mais qui ne connaissait pas le bonheur.
Que vous inspire la disparition d'Alain Delon?
E.E.S: Moi, j'éprouve un immense soulagement pour lui. La vieillesse était un martyr pour lui. En plus, il était très malade depuis, depuis des mois. Il n'aimait plus ni sa vie, ni ce qu'il percevait du monde. Autant qu'il avait décidé de ne plus aimer tout ça. En fait, il s'était déjà, déjà, déjà retiré. Et je pense que voilà, sa mort lui rend d'abord sa jeunesse éternelle. Parce que maintenant, nous allons avoir les films. Et puis, sa mort peut-être lui donner une paix qu'il n'a jamais connue dans sa vie.