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Un professeur d'histoire-géographie, qui avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, a été décapité près d'un collège vendredi à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines en France) dans "un attentat terroriste islamiste caractérisé", pour Emmanuel Macron, trois semaines après l'attaque devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Le parquet national antiterroriste a annoncé à l'AFP s'être aussitôt saisi de l'enquête, ouverte pour "assassinat en relation avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle".
Que s'est-il passé?
A 17H11, les policiers de la brigade anticriminalité de Conflans-Sainte-Honorine sont appelés par les policiers municipaux d'Eragny-sur-Oise, en région parisienne, qui ont découvert le corps d'un homme décapité sur la voie publique, a relaté le procureur du parquet national antiterroriste (PNAT), Jean-François Ricard. Les faits se déroulent non loin du collège du Bois d'Aulne, situé à Conflans-Saint-Honorine, dans un quartier pavillonnaire sans histoires.
En arrivant, les policiers tentent d'interpeller, à 200 mètres de la victime, un homme qui tire en leur direction "à cinq reprises" avec "une arme de poing", a poursuivi M. Ricard. Les policiers ripostent, l'agresseur est atteint de "9 impacts". Il a, à ses côtés, une arme de poing de type Airsoft avec cinq cartouches de gaz, un couteau de type poignard. Selon M. Ricard, l'homme a tenté de se relever et de donner des coups de couteau aux policiers.
Des sources judiciaires avaient affirmé vendredi que l'agresseur avait crié "Allah Akbar" avant que les policiers ne fassent feu.
Un second couteau ensanglanté, avec une lame de 35 cm, est découvert à une trentaine de mètres de la victime, a ajouté M. Ricard.
Qui est l'agresseur?
L'assaillant, Abdoullakh A., est un jeune Russe tchétchène de 18 ans, né à Moscou. Connu pour des antécédents de droit commun, il n'a jamais été condamné. Il n'était pas connu des services de renseignement pour radicalisation, selon plusieurs sources proches du dossier. Il a obtenu le 4 mars 2020 un titre de séjour valable jusqu'en mars 2030 . Il avait le statut de réfugié et habitait à Evreux en Normandie. Ses voisins le présente comme un jeune homme "discret", "plongé dans la religion" depuis trois ans, selon des témoignages recueillis par l'AFP.
Jean-François Ricard a expliqué que les enquêteurs avaient retrouvé dans son téléphone portable le texte de revendication envoyé sur Twitter. Ce texte avait été écrit à 12H17. Ils ont découvert aussi la photo de la tête de la victime envoyée à 16H57 sur Twitter. Cette photo était accompagnée d'un message adressé à Emmanuel Macron, "le dirigeant des infidèles", expliquant vouloir se venger de celui "qui a osé rabaisser Muhammad".
11 gardes à vue
Onze personnes étaient en garde à vue ce dimanche, dont les parents, le grand-père et le petit frère de l'assaillant, interpellés à Evreux (Eure).
Sont également en garde à vue, le père de l'élève qui a appelé à la mobilisation contre l'enseignant. Il a été interpellé à Chanteloup-les-Vignes. L'homme qui l'avait accompagné au collège pour se plaindre du professeur et avait interviewé la fille de ce parent d'élève dans une vidéo, le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, actif en France depuis le milieu des années 2000, ainsi que sa compagne, le sont également.
M. Ricard a souligné que le père de l'élève avait une demi-soeur qui était partie en 2014 rejoindre l'organisation Etat islamique en Syrie et faisait l'objet d'un mandat de recherche, mais le procureur n'a fait publiquement aucun lien entre ce père de famille, son entourage et l'assaillant.
Enfin, trois personnes ayant été en contact avec l'agresseur, qui se sont présentées spontanément au commissariat d'Evreux vendredi soir, sont aussi en garde à vue.
Ce dimanche, l'AFP indique qu'une onzième personne a été placée en garde à vue. Elle est issue de l'entourage de l'assaillant.
Qui est la victime?
Samuel Paty, âgé de 47 ans et père de famille, enseignait l'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne. Ce professeur avait récemment montré des caricatures de Mahomet à ses élèves de quatrième dans le cadre d'un cours sur la liberté d'expression. Certains parents s'en étaient émus, notamment sur les réseaux sociaux. Le père d'une élève avait porté plainte le 8 octobre pour diffusion d'image pornographique (un dessin du prophète nu et accroupi, avec une étoile sur les fesses, ndlr). Le professeur avait en retour porté plainte pour diffamation.
Le père avait dès le 7 octobre appelé sur Facebook à la mobilisation contre l'enseignant. Dans une vidéo du 12 octobre diffusée sur Youtube, le père de l'élève, accompagné sur la vidéo d'un homme très remonté, cible l'enseignant et fait témoigner sa fille. "Apparemment, c'était un prof qui avait l'habitude de leur parler de l'islam, de caricatures et tout ça, ce n'était pas la première fois que mon fils rentrait et qu'il disait 'le prof nous a parlé de cela aujourd'hui'", a raconté à l'AFP un parent d'élève.
Samuel Paty était "à fond dans son métier" selon ceux qui l'ont côtoyé. "Quand j'ai vu 'prof - Bois d'Aulne - décapitation', j'ai fait le lien direct: 'c'est Monsieur Paty' ", assure Martial, 16 ans, accouru vendredi soir devant le collège du Bois d'Aulne avec des amis dès qu'il a appris la nouvelle, en sortant de son entraînement de football. Ce lycéen se souvient très bien de son professeur d'histoire-géographie de 4e dans cet établissement scolaire réputé calme, posé au coeur d'un quartier pavillonnaire qui l'est tout autant dans cette ville de 35.000 habitants du nord-ouest parisien.
"En début d'année il s'est présenté. Il a dit qu'il était à Créteil" dans un autre collège "et qu'il est venu parce que sa femme s'est fait muter pour son travail", se remémore le jeune homme.
Samuel Paty, cheveux bruns coupés courts, était "petit", portait des lunettes, "avait toujours une chemise", se rappelle Nathan, 16 ans, un autre ancien du Bois d'Aulne. "Il voulait vraiment nous apprendre des choses. De temps en temps, on faisait des débats, on parlait".
"C'était toutes les années qu'il faisait cela", souligne Virginie, 15 ans, qui a connu l'enseignant. "C'était au programme pour l'EMC (enseignement moral et civique, ndlr), c'était pour parler de la liberté par rapport à l'attentat de Charlie Hebdo, il montrait ces images, les caricatures", affirme la jeune fille, précisant que cette année, "ça a pris plus d'ampleur". Un sujet "sensible", se souvient de son côté Martial, qui a assisté au même cours il y a trois ans.
Hommage national et rassemblements
Les responsables des principaux partis politiques, associations et syndicats manifesteront dimanche à 15H à Paris, sur l'emblématique place de la République, et dans de nombreuses autres villes, notamment Marseille, Lille et Bordeaux.
Dès samedi, plusieurs centaines de personnes se sont réunies à Nice ou à Rennes pour dénoncer un "acte de barbarie" et défendre "les valeurs de la démocratie".
Un hommage national sera rendu mercredi à ce professeur d'histoire-géographie, a annoncé l'Elysée. Et un conseil de défense, présidé par Emmanuel Macron doit avoir lieu dimanche."D'autres expressions ( de soutien ndlr) et annonces sont prévues après les réunions", a-t-on appris auprès de l'exécutif.