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Les chauffeurs LVC (Location de Voitures avec Chauffeur) descendent ce matin dans les rues de Bruxelles pour demander au gouvernement de tenir sa promesse de réformer les réglementations obsolètes qui régissent le secteur taxi.
À la demande des chauffeurs et par solidarité avec leur action, Uber ferme d’ailleurs temporairement son application. Il s'agit de la première suspension temporaire de l'application décidée par Uber en Europe. "Nous comprenons et partageons la frustration des chauffeurs face à l'absence de progrès sur cette réforme", explique Laurent Slits, qui dirige les opérations d'Uber en Belgique. "Cela fait déjà sept ans que les chauffeurs LVC vivent dans l'incertitude. Nous suspendons ainsi l'application par solidarité avec les chauffeurs de Bruxelles".
Les chauffeurs Uber réclament une réforme du secteur passant par un nouveau plan Taxi en région bruxelloise, dont la première mouture était attendue pour l'été. Ils se plaignent de contrôles intempestifs, liés à l'application de décisions de justice basées sur l'actuelle réglementation en vigueur.
"Il doit y avoir une période de transition dans laquelle les chauffeurs doivent pouvoir continuer de travailler sereinement", réclame Asmaa Snaibi, la secrétaire générale de l'Union des Chauffeurs limousine belge.
Obligation de charges sociales et de transparence pour Uber
Mais à en croire le ministre-président bruxellois PS Rudi Vervoort, invité ce matin de Bel RTL, son plan taxi sera extrêmement contraignant pour Uber et les chauffeurs LVC.
"Un objectif premier c’est d’uniformiser le statut des chauffeurs et ensuite de garantir un certain nombre de règles de transparence par rapport aux plateformes. L’obligation d’avoir un siège social, de publier aussi les chiffres du nombre de chauffeurs qui travaillent pour eux. Pour l’instant ce sont des boites noires dont on ne mesure rien du tout", explique-t-il.
Taximen et chauffeurs LVC seront dès lors unifiés sous un même statut définissant des conditions d'exploitation identiques pour les exploitants et les chauffeurs, en distinguant deux sous-catégories:
- Les taxis de station: soit les taxis classiques identifiables avec leur spoutnik dont les prérogatives permettent de profiter des places de stationnement réservées et des voies prioritaires
- Les taxis de rue correspondant à l'activité développée par les plateformes telles qu'Uber et Heetch, dont le maraudage électronique est le principal mode de réservation
Régulation des prix
Uber devra donc déclarer ses chauffeurs et devra payer des charges sociales, avec obligation d’avoir un siège social et des prix encadrés par la Région : "Il y aura un plancher et un plafond." Il considère que le fait que les prix d’une course Uber qui varient en fonction du moment de la journée et de la concurrence à ce moment-là ne sont "pas acceptables".
Examen comme pour les taxis, mais sans accès à leurs emplacements réservés
Les chauffeurs Uber n’auront cependant toujours pas accès aux endroits réservés aux taxis. Et il y aura un numerus clausus qui définira le nombre maximum de chauffeurs Uber à Bruxelles. "Il faut que ce soit économiquement tenable pour Bruxelles. Il y a un accès à la profession" avec examen et "les mêmes conditions doivent être remplies par les uns et par les autres parce qu’il y a un service à la clientèle. Il ne faut pas perdre de vue que les clients, c’est une responsabilité. Ils doivent être pris en charge par des personnes habilitées à le faire".
Des agréments pour tous les chauffeurs Uber? "Il ne faut pas rêver"
Combien d’agréments seront accordés aux chauffeurs Uber ? "C’est une étude socio-économique qui va le déterminer. On verra à intervalle régulier l’évolution du marché", a encore expliqué le ministre-président bruxellois. Mais la ville compte aujourd’hui 1.500 taximen pour plusieurs milliers de chauffeurs Uber, même s’ils "ne travaillent que quelques heures, quelques jours et pas nécessairement à plein temps". Plusieurs milliers d’agréments seront-ils donnés ? "Non, il ne faut pas rêver", a tranché Rudi Vervoort. La réforme laissera donc plusieurs chauffeurs actuels sur le carreau.
En résumé, Uber et ses chauffeurs devront s’adapter : "On vit ici dans un pays qui a des contraintes sociales, de protection des travailleurs, et il y a un standard qu’on doit respecter. On n’est pas dans des pays où c’est le laisser faire – laisser aller total."
De quoi se mettre les chauffeurs Uber à dos ? "Je ne suis pas sûr que ce sera bien accueilli par les chauffeurs de taxis", a-t-il répondu... "C’est le propre d’un accord politique. Il y aura des mécontents des deux côtés."
"Ce n'est pas mon modèle"
Sur le fond, Rudi Vervoort n’apprécie pas le modèle économique d’Uber ou des services de livraison "qui est un modèle à perte pour l’instant et qui est contesté dans de nombreux pays. Le fédéral vent de lancer une réflexion aussi sur l’ensemble des plateformes. Deliveroo, Uber Eats, … Quand on voit des personnes qui roulent à vélo par tous temps à toute heure pour déposer un hamburger, est-ce que c’est ça un travail de qualité ? J’ai quand même des doutes par rapport à ça. Ce n’est pas mon modèle."
Et de revenir sur les dangers d’un tel système … comme la suspension de l’application Uber ce matin. "Si demain Uber décide de tout débrancher et de s’en aller, ce sont des milliers de personnes qui se retrouvent sur le carreau. J’aimerais qu’on réfléchisse aussi à la protection des chauffeurs."
Ce nouveau plan Taxi en est au stade de l’avant-projet d'ordonnance. Il doit encore être négocié avec les partenaires du gouvernement bruxellois. Son application n’est pas attendue avant le milieu de l’année prochaine.
"On n'a obtenu aucune avancée"
"C'était une réunion de courtoisie. Le projet d'ordonnance qui vient d'être déposé n'est même pas public pour l'instant et on n'a obtenu aucune avancée", a regretté le secrétaire général de l'Union syndicale des Chauffeurs privés (USCP), Emil Miletinov, à la sortie de la réunion avec le cabinet Vervoort. "Les contrôles vont continuer, par contre on a obtenu une souplesse dans le sens où il n'y aura pas de conséquences pour le renouvellement des licences." Une souplesse qui ne sera pas d'application pour les nouvelles licences demandées après mars 2021. "Mais pour l'instant ces licences sont bloquées", précise M. Miletinov. "On nous dit que les licences sont à l'étude, mais on sait qu'elles sont bloquées à la signature."
Pour ce qui est du statut, "on a appris qu'ils veulent instaurer un statut unique, mais dans les faits ce n'est pas du tout les mêmes droits et les mêmes obligations. Par exemple pour l'instauration d'un certificat de capacité: ils veulent nous l'imposer malgré une expérience de parfois quatre ou cinq ans." Quant au du numerus clausus, "ça sera discuté plus tard", explique le secrétaire général de l'USCP. "Mais ce sera la boîte de Pandorre. Ils veulent un numerus clausus très restrictif, alors que nous en voulons un révisable et modulable en fonction de la demande."
Selon le cabinet du ministre-président Vervoort, la délégation des manifestants reçue jeudi matin a été "informée du dépôt devant le gouvernement d'un avant-projet d'ordonnance". Les grandes lignes du projet leur ont été expliquées, "sous la réserve expresse des discussions qui interviendront en gouvernement".
Le planning des négociations a aussi été rappelé à cette occasion. Il a ainsi été précisé que la négociation avec le secteur serait entamée dès l'adoption en première lecture de l'avant-projet.