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Une "agression sexuelle" se déroule devant leurs yeux dans un bar: "Si les clientes n’avaient pas réagi, on ne sait pas ce qui serait arrivé"

Deux trentenaires ont assisté, bien malgré elles, à une "agression sexuelle" dans un resto-bar du Brabant flamand. Avec d’autres client.e.s, elles ont pris en charge la situation et appelé les secours. Via le bouton orange Alertez-nous, elles fustigent l’attitude "passive" du personnel, qui d’après elles, "n’a rien fait du tout pour aider la victime" et le comportement des policiers qui sont intervenus.

Fin juillet. Un vendredi soir, il est minuit passé. Il fait chaud. L’ambiance est bonne. Elodie et Stéphanie (prénoms d’emprunt car elles préfèrent garder l’anonymat) sont à mille lieues de penser que cette belle soirée d’été dans un resto-bar du Brabant flamand qu’elles apprécient particulièrement va être gâchée. Et pourtant… 

Les deux Bruxelloises quittent la terrasse pour commander un cocktail "dans la salle du Beauty Gastropub". Elles aperçoivent alors une situation qu’elles décrivent comme à la fois "anormale et scandaleuse": "On voit un monsieur assez âgé, de 60-70 ans, collé contre une jeune femme d’environ 25 ans qui a son soutien-gorge complètement défait au niveau du cou. Il la tripote partout et lui pince les seins".  Immédiatement, elles sentent que "quelque chose ne va pas". Malgré un certain malaise, Stéphanie interpelle l’homme en tapant sur son épaule pour lui demander s’il connaît la jeune femme. Il répond que : non, il ne la connaît pas. Et là, "je vois l’état de cette fille parce qu’il s’écarte et elle est totalement inconsciente, elle dort sur l’épaule du type", raconte Stéphanie. 

On se dit qu’il y a un gros problème

En même temps, d’autres jeunes femmes se mêlent de la situation. Les différents groupes se demandent s’ils connaissent cette jeune femme : la réponse est non. Mais les autres indiquent qu’elles suivent la situation depuis de longues minutes. "On se dit qu’il y a un gros problème", conte Stéphanie d’autant qu’elle apprend d’autres clients que juste avant, "l’individu était en train de toucher la jeune femme au niveau des parties intimes" au beau milieu de la salle. Très rapidement, les clients s’organisent en deux groupes. Un premier vient en aide à la jeune femme. Un autre reste avec le monsieur. 

 

Elle est non seulement en danger d’agression sexuelle, mais aussi en danger physique

La jeune femme est emmenée à l’extérieur et mise en position latérale de sécurité. "Ce qui est interpellant, c’est qu’on ne sait pas depuis combien de temps elle est inconsciente, en train de se faire toucher par ce monsieur".

Stéphanie se souvient avoir été chercher le videur. Mais, "il n’a pas du tout aidé à aller mettre la victime dehors. Ce sont d’autres personnes qui nous ont aidées.  C’est un scandale. Ce n’est pas possible d’avoir un établissement où même le personnel ne fait rien".

Elodie abonde dans son sens: "Il n’en a rien à faire". Les jeunes femmes tentent aussi d’avoir de l’aide auprès du personnel, en vain, affirment-elles : "Ils ont peur de la réaction des patrons".

La tension est très vive dans la salle. Certaines jeunes femmes essayent de discuter avec l’individu. "C’est une situation lunaire parce que le gars n’a pas l’air de comprendre, d’avoir conscience qu’il fait quelque chose de mal", regrette Stéphanie qui ajoute: "Je trouve ça très choquant de la part de la sécurité dans un bar de permettre un traitement pareil à l’égard de quelqu’un. Elle est non seulement en danger d’agression sexuelle, mais aussi en danger physique. Elle est inconsciente. Elle ne va pas bien. Et personne ne fait rien". Personne, sauf les client.e.s qui osent prendre les choses en main et appeler secours et police. 

L’arrivée des policiers sur place n’apaise pas vraiment les jeunes femmes. Nos témoins critiquent l’attitude de la police qui selon eux "part dans tous les sens et n’a aucune coordination". "On ne sait même pas qui est le commissaire responsable. On essaye trois fois d’aller parler aux policiers pour témoigner. Il y a des garçons aussi qui essayent. Mais, ils nous engueulent parce qu’en fait, ils ne parlent qu’avec l’individu.  A un moment, un agent rigole même avec lui. Ils ne prennent pas nos cartes d’identité. Seule la fille qui a appelé les secours doit donner son nom.  Avec tout ce qu’il y a eu avec le El Café et le #Metoo, les policiers devraient être habitués à gérer ce genre de situation", souligne Elodie. 

Pourquoi, nous, on peut faire les choses et pas les professionnels?

Ce que ces jeunes femmes veulent dénoncer, c’est un "manque de prise au sérieux de la situation": "Si les clientes n’avaient pas réagi, cette fille serait restée là à se faire tripoter par ce gars encore combien de temps ? Voire pire, on n’en sait rien. C’est ça qu’on trouve le plus choquant"

Et elles s’interrogent pour l’avenir : "Être une fille à l’heure actuelle, c’est déjà compliqué mais alors plus tard... ", lance Elodie. Stéphanie complète : "On n’a pas le droit à l’erreur. Si t’as un peu trop bu… C’est vrai qu’elle était dans un état avancé, mais cela ne justifie pas le manque d’intérêt pour cette fille. Elle était laissée pour compte, sous prétexte qu’elle est venue là pour s’amuser. La banalisation de cette situation est vraiment très interpellante".

Finalement, l’homme est emmené par la police. La jeune femme part en ambulance : "La voir partir comme ça, seule, à plat ventre sur un brancard. On se met à sa place, en tant que femme, c’est une espèce d’empathie assez naturelle. On n’est pas bien pour elle et puis en colère", souffle Stéphanie. "On est en colère, parce que cela ne peut pas arriver. Pourquoi, nous on peut faire les choses et pas les professionnels ?".

Stéphanie et Elodie n’en dorment pas de la nuit. Elles estiment qu’il est nécessaire de rendre publique cette histoire, malgré le fait "qu’elles adorent cet endroit", pour "éveiller les consciences de chacun". Cette forme d’indifférence qu’elles décrivent face aux agressions sexuelles peut d’ailleurs malheureusement arriver n’importe où. 

De son côté, la direction de l’établissement dit être au courant de l’incident et être en contact avec la police de manière régulière. Interrogée sur les faits, elle indique ne pas pouvoir nous en dire plus, afin de ne pas entraver la procédure. En ce qui concerne l’attitude du personnel, elle affirme: "Nos équipes sont toujours à l’écoute de tous les clients. Notre videur assure la sécurité dans l’intérêt de tous". Et ajoute: "90 % de nos clients sont des habitués. Les deux protagonistes de l’affaire y compris. Nous vous assurons que notre personnel n’a rien à se reprocher dans cette histoire"

Contactée, la police de la zone Druivenstreek qui englobe Hoeilaart et Overijse, confirme l’intervention et l’enquête confiée au parquet de Hal-Vilvorde. Concernant les critiques de Stéphanie et Elodie, elle indique que des témoins "ont été interrogés ce soir-là sur place" et que "d’autres le seront encore certainement dans le cadre de l’enquête", sans pouvoir en dire plus.

Même discrétion du côté du parquet de Hal-Vilvorde. L’enquête est en cours. Aucune information ne peut donc être fournie pour le moment.

Face aux mots et au ressenti des protagonistes de cette soirée s’oppose la rigueur de la justice qui doit suivre les procédures. Mais, alors comment répondre aux interrogations et inquiétudes légitimes de nos témoins? Est-ce que rien n’a changé depuis le mouvement de libération de la parole?

La définition du consentement

Pour tenter d’y voir plus clair, rappelons d’abord la base, le cadre légal. Celui de la notion de consentement qui régit les relations entre les individus. Le consentement donné établit la différence entre un contact sexuel désiré et un contact sexuel non désiré. En l’absence de consentement, il est question de violences sexuelles. 

La notion de consentement est une notion centrale du droit pénal sexuel. Elle a été introduite explicitement dans le code pénal en 2021.

Le consentement se donne librement, de plein gré, sans contrainte. Concrètement, cela veut dire que les situations suivantes ne relèvent pas du consentement :

  • Un acte sexuel qui est la conséquence d’une menace, d’une violence physique ou psychologique, de la surprise ou de la ruse.
  • Un acte sexuel commis lorsque la victime est dans une situation vulnérable altérant son libre arbitre : alcool, stupéfiants, substances psychotropes ou autres, maladie, situation de handicap
  • Une victime inconsciente ou endormie

A noter que le consentement peut être retiré à tout moment, avant ou pendant l’acte sexuel. Et le fait que la victime ne résiste pas physiquement ne signifie pas automatiquement qu’elle est consentante. 

Quand le consentement n’est pas respecté, on parle donc de violences sexuelles. En Belgique, les victimes peuvent être prises en charge par un CPVS, un centre de prise en charge des violences sexuelles. Pour l’instant, il y en a 10 sur l’ensemble du territoire : Bruxelles, Charleroi, Liège, Namur, Luxembourg, Anvers, Flandre occidentale, Flandre orientale, Limbourg et Louvain.

L’avantage de ces centres, c’est qu’ils offrent aux victimes, un accompagnement pluridisciplinaire et à tous les niveaux : soins médicaux, soins psychologiques, examen médico-légal, aide et accompagnement pour le dépôt de plainte. Ils sont composés d’infirmières, de psychologues et de policiers spécifiquement formés pour traiter de ces cas.

Nous racontons le témoignage des jeunes femmes à Gaëlle De Beul, coordinatrice ad interim du CPVS de Bruxelles. Celle-ci considère qu’il y a une grande évolution dans la prise en charge de ces violences, notamment avec les CPVS. "Au niveau des parquets, c’est toujours pris aux sérieux", avance l’infirmière légiste. Mais, "les choses ne sont pas parfaites".

Elle encourage Stéphanie et Elodie, qui estiment ne pas avoir été entendues, à témoigner auprès de la police: "Elles peuvent se présenter dans n’importe quel commissariat pour le faire. C'est important pour elles de déposer ce qu’elles ont vu et cela va se rajouter au dossier".

Notons que les faits se sont déroulés dans le Brabant flamand, une zone pour l’instant grise dans la couverture des CPVS. "Le centre est financé, le budget est validé mais il devrait arriver pour 2025-2027", détaille Gaëlle De Beul. 

Dans les CPVS, les victimes sont accueillies par des inspecteurs formés, qui ont choisi de s’occuper des affaires de mœurs, le traitement est d’autant plus bienveillant. "Beaucoup de choses sont mises en place, mais tous les policiers ne sont pas encore formés. Et les agents de première ligne ne sont pas ceux qui ont le plus accès aux formations", ajoute-t-elle.

Que va-t-il se passer pour la victime?

Dans tous les cas, elle est entendue par la police qui recueille sa déclaration. Elle peut se déclarer personne lésée. "C’est un formulaire à remplir à la fin de son audition pour être tenue au courant des suites de l’enquête, et surtout de la décision prise à la fin de l’enquête par le procureur", éclaire le cabinet d’avocat.e.s Defendere, spécialisé dans la prise en charge des victimes. 

Même sans récit de la victime et sans plainte, "en théorie, les agressions sexuelles peuvent être poursuivies en justice. Il n’y a pas d’obstacle à poursuivre les faits, quand il y a un flagrant délit", précise encore le cabinet Defendere.

Malgré les évolutions notables, la coordinatrice ad interim du Centre de prise en charge des violences sexuelles de Bruxelles reconnaît que le travail est encore long: "On constate toujours une certaine inaction dans l’espace public. C’est confirmé par de nombreuses expériences psychologiques". Pourtant, la sécurité des femmes dans l’espace public est l’affaire de tous. 

"Les mentalités sont en cours de changement", pense Gaëlle De Beul. Elle en veut pour preuve l’attitude d’Elodie et Stéphanie : "Il y a 15 ans, une fille ou deux auraient voulu mobiliser les gens, elles n’y seraient pas arrivées. Moi, ça me donne un petit espoir"
 

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