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Nicolas souffre de crise de migraines sévères, des maux de tête quotidiens. Actuellement, aucun traitement ne lui convient. En Belgique, cette maladie touche un quart de la population. D’après la Ligue belge contre les céphalées, ce trouble est encore trop méconnu.
Nicolas est atteint de migraines sévères depuis neuf ans. Cette maladie invisible a des conséquences importantes sur la vie de l'habitant de Franière (Floreffe, en province de Namur). Aujourd'hui, l'homme de 30 ans aspire à pouvoir vivre "normalement", et espère que le monde médical pourra trouver une solution.
"Mes premières crises de migraine datent de 2015. Brutalement, j’ai commencé à vomir. Je suis allé voir le médecin qui m’a directement prescrit des médicaments. Puis, j’ai été voir des neurologues, mais aucun d'entre eux n'a pu véritablement m’aider", témoigne-t-il, après nous avoir contactés via le bouton orange Alertez-nous. "Je suis devenu intolérant au bruit, je porte un casque antibruit la plupart du temps. Tous les bruits sont insupportables. Les médecins se reposent à présent sur le diagnostic de 2015, qui dit que j’ai des migraines sévères et chroniques."
Nicolas raconte précisément les douleurs qu'il doit endurer au quotidien. Les médicaments prescrits ne lui permettent donc pas de les évacuer.
"J’ai mal à la tête absolument tous les jours. Je dois gérer avec des anti-inflammatoires et des antidouleurs. Je n’ai pas le choix. Je dois respecter un certain nombre d’anti-inflammatoires durant la semaine. Quand on a mal, soit on désobéit au médecin, soit on crève de mal", dit-il.
Il poursuit: "Les ¾ de la journée, je suis dans un lit, allongé. Alors que de base, je suis quelqu’un d’hyperactif. Il est très difficile pour moi de me lever avec de grosses crises de migraine. Si je devais travailler, je ne supporterais pas le bruit ou je devrais travailler avec un casque antibruit. Ce n’est pas possible de travailler comme ça."
Chez Nicolas, les migraines ont développé une forme de "phobie sociale".
"Je ne peux pas sortir tout seul. Comme j’angoisse très vite, ça agit sur ma tête. Avant, je faisais des études pour devenir informaticien et j’ai dû arrêter. Je faisais du sport, mais actuellement c’est impossible. Quand j’ai une crise, cela fait mal dans un côté de la tête, et j’ai beaucoup de nausées. Souvent, ça commence au matin, ça s’arrête au milieu de la journée, et vers 4-5h, ça repart. Je suis triste car à 30 ans, ma vie est dehors et pas à la maison. J’aimerais trouver un travail. Et malheureusement, les crises m’en empêchent tout le temps", ajoute le Franiérois.
C’est une maladie immortelle
De son côté, Claire Vanderick, administratrice de la Ligue belge contre les céphalées (les maux de tête), estime que la migraine n'est pas facilement reconnue "car elle est invisible". "Elle n’est pas bien comprise et assez stigmatisée. Elle concerne une part non-négligeable de la population. C’est une maladie qui est immortelle. On a tendance à minimiser les retombées et les impacts de cette maladie."
La Ligue Belge contre les Céphalées préconise ainsi de créer un meilleur statut pour les patients sévèrement touchés, les migraineux sévères et chroniques. "Car cela peut engendrer un impact terrible sur leurs activités de la vie quotidienne. Cela peut empêcher de vivre une vie sociale et même de travailler. Ce n’est pas négligeable. Il me semble qu’avoir un statut permettrait une meilleure prise en charge, en matière de suivi et de trajet de soins pour le patient. Cela permettrait moins d’errance médicale et d'éviter un processus de surmédication. Cela leur permettrait aussi d’avoir accès à d’autres soins (kiné, psychologue…)."
Claire Vanderick est atteinte de migraines depuis 30 ans et elle a connu différents degrés de sévérité. "J’étais migraineuse épisodique et je suis devenue migraineuse chronique. Je peux bénéficier des médicaments anti-CGRP, et c’est pour moi une révélation. J’étais à 20 jours de migraine par mois, et je suis à 3-4 jours de migraine. Cela me permet d’être une mère au foyer, j’ai 4 enfants. Je vis une vie qui se rapproche de la normalité. J’ai connu des journées très compliquées. Un migraineux chronique reste au lit. Il doit se mettre à l’abri de la lumière, du bruit. Il ne sait pas s’occuper de ses enfants. On touche aux actes de la vie quotidienne simple. Ce sont des gens qui sont régulièrement voués à être invalides."
Qu’est-ce que la migraine sévère ? Comment lutter aujourd’hui contre cette maladie? Le neurologue et spécialiste des céphalées, Jean Schoenen, a répondu à nos questions.
"Une migraine sévère est un type particulier de maux de tête, qui a des caractéristiques claires, qui permettent de la diagnostiquer. C’est une maladie qui vient par crise, avec des maux de tête qui sont parfois lancinants ou pulsatiles. Ils réduisent le fonctionnement normal du patient. Ils sont aggravés par l’activité physique banale. Elle s’accompagne d’autres symptômes qui handicapent le patient. Par exemple, des nausées, des vomissements, une sensibilité particulière aux stimulations sensorielles (lumière, bruits, odeurs…). Et en plus, des troubles de mémoire, de concentration, un état de fatigue, parfois un état dépressif, qui rend la crise des migraines difficilement supportable."
D’où vient cette migraine ?
"Cela vient de notre maman ou de notre papa. La migraine est une prédisposition génétique. La plupart des migraines, comme la migraine épisodique, est une maladie polygénique. C’est-à-dire qu’il y a un ensemble de gènes qui fait la prédisposition et qui varie d’une personne à l’autre. Les gènes arment le fusil et c’est l’environnement qui pousse sur la gâchette. Qu’est-ce qui pousse sur la gâchette ? C’est tout ce qui se passe dans l’environnement des migraineux : le stress familial, social, les facteurs de l’hygiène de vie..."
Combien de personnes touchées en Belgique ?
"On a fait une étude à la province de Liège avec l’école de santé publique. On était à 30% de migraineux chez les femmes, 19% d’hommes, sur une année. C’est une étude de la population en général. En moyenne, on était à 25% de migraineux. Maintenant, il faut savoir que tous les migraineux ne sont pas handicapés de la même façon. Dans les 25%, il y en a qui ont une ou deux crises par mois, et qui ne sont pas nécessairement handicapés."
Comment catégoriser les migraines ?
"Il y a un continuum dans la sévérité de la migraine. Certains migraineux ont des crises peu fréquentes. Généralement, ils trouvent un traitement pour s’en débarrasser relativement vite. Ces personnes-là ne consultent pas nécessairement un médecin. On considère qu’à partir de 8 jours par mois, la migraine devient invalidante. Là, on est dans une catégorie de migraineux qui, entre 8 et 14 jours, ont des migraines épisodiques fréquentes, invalidantes. A partir de 15 jours par mois, par définition, et par convention entre experts, on parle de migraines chroniques. Pour remplir le critère d’une migraine chronique, il faut avoir 15 jours de céphalées par mois, dont au moins 8 jours de migraine."
C’est la règle générale. Tout ça est individuel. Il est évident que certaines personnes, si elles ont 5 crises de migraine par mois, qui les mettent au lit 5 jours sur le mois, c’est invalidant. Cela dépend de l’intensité des crises, de l’efficacité des traitements de crise, et aussi de l’activité de la personne."
Comment lutter aujourd’hui contre les migraines ?
"Le traitement doit être adapté à chaque patient individuellement. La première chose est de traiter les crises efficacement. Pour traiter une crise, il y a différentes possibilités. Il y a des antidouleurs, des anti-inflammatoires.
Les traitements les plus efficaces, c’est ce qu’on appelle les triptans. Ce sont des médicaments très ciblés, qui bloquent un sous récepteur de la sérotonine. Le problème avec ces médicaments-là, c’est que si vous en surconsommé, plus de deux jours par semaine, la migraine s’aggrave et vous évoluez vers la migraine chronique (plus que 15 jours de migraine par mois). Ce sont des migraines chronicisées par les antidouleurs. C’est la première chose qu’il faut vérifier chez les patients qui ont une migraine chronique. Il faut d’abord, si possible, les sevrer, tout en instaurant en même temps ce qu’on appelle un traitement préventif. Les traitements préventifs doivent empêcher les crises de migraine de venir. Et faire en sorte que les crises de migraine qui restent, soit moins intenses, et plus faciles à traiter."
Des conseils à suivre?
"Si vous avez beaucoup de céphalées, allez voir votre médecin. Il faut faire un diagnostic. Il faut se méfier des antidouleurs, ne pas en abuser. Je conseille, pour les antidouleurs simples, d’en pendre 4 à 6 jours par mois. Pour les anti-inflammatoires seuls, 6 à 8 jours par mois. Si avez besoin de plus de jours de traitement, vous avez besoin d’un traitement préventif pour diminuer la fréquence des crises. Des traitements préventifs, il y en a plusieurs.
La première chose pour le migraineux est de voir dans son style de vie et son hygiène de vie ce qu’il peut faire pour réduire la fréquence des migraines. Cela va de la consommation de caféine, car l’excès aggrave la migraine. Ne parlons pas de l’alcool, mais c’est connu depuis longtemps. Cela passe aussi par le sommeil. Les migraineux ont un déficit énergétique dans le cerveau. Ils ont besoin de 7-8h de sommeil."
Le fait d’avoir des activités physiques est également positif. Deux fois 30 minutes de fitness par semaine, dans les études réalisées en Allemagne, diminuent la fréquence de crise de migraine de 30%. Il y a aussi les traitements de relaxation qui peuvent être utilisés chez les personnes sensibles au stress."
Des traitements remboursés?
"Heureusement, la plupart sont maintenant remboursés. Les triptans sont remboursés sur demande. Les traitements préventifs les plus actifs également. En Belgique, on doit être content car en France, ils ne sont toujours pas remboursés."