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Après avoir tout tenté, Philippe (nom d'emprunt) a décidé de nous contacter via le bouton orange Alertez-nous. Il raconte la bataille qu’il mène contre son voisin depuis plusieurs années. Celui qui vit à côté de chez lui a décidé d’installer des caméras de surveillance pointées en direction de son jardin. Est-ce légal ? Quelles lois doit-on respecter lorsqu’on utilise des caméras sur sa propriété ?
À Limal, petite section de la ville de Wavre, dans le Brabant wallon, se trouve un clos tranquille, bordé de verdure et regroupant plusieurs maisons. Philippe vit, au calme, dans l’une d’elles avec sa femme et ses deux filles adolescentes. Mais depuis quelques mois, lorsqu'elle souhaite profiter de sa piscine, la famille ne peut s’empêcher de penser aux caméras du voisin pointées sur elle. "J’ai deux filles de 13 et 15 ans, vous comprenez bien mon désagrément", confie le père de famille. Une situation invivable, qui impacte même sa vie sociale : "J’ai des amis qui ne veulent plus venir chez moi à cause de la caméra qui pointe vers ma terrasse", ajoute-t-il. Il y a plusieurs mois, l’homme a déposé plainte auprès de l’Autorité de protection des données, comme il est recommandé de le faire en cas de non-respect de la réglementation.
Quelles sont les lois en vigueur ?
En Belgique, toute personne a le droit d’installer une caméra devant chez elle. Le service de Sécurité et de Prévention du SPF Intérieur rappelle qu’il n’existe aucune loi régissant la pose de moyens de sécurité. Cependant, bien qu’aucune autorisation préalable ne soit nécessaire, cette pratique est régie par le règlement général sur la protection des données (RGPD) et par la Loi caméras.
La Loi caméras, adoptée en 2007 et modifiée en 2018, codifie l’installation et l’utilisation des moyens de vidéosurveillance. Avant d’installer une caméra, plusieurs obligations doivent être respectées :
- Déclarer la caméra au SPF Intérieur.
- Décrire le traitement des images dans un registre qui doit être mis à disposition de l’autorité de protection des données et des services de police en cas de besoin.
- Apposer un pictogramme signalant l’existence d’une surveillance par caméra.
- Ne pas conserver les vidéos plus d’un mois, sauf si elles permettent de prouver une infraction.
- Orienter le matériel vers le lieu surveillé, et non vers la voie publique ou chez le voisin. Si ces endroits restent visibles, ils doivent être limités au strict minimum à l’aide d’un "privacy banner" qui masque les parties ne pouvant être filmées.
Il est important de rappeler qu’une caméra de surveillance installée par et chez un particulier ne peut ni filmer des images portant atteinte à la vie privée des personnes, ni divulguer des informations sur leur vie sexuelle, leur état de santé, leurs opinions, ou leur origine ethnique ou raciale.
De plus, ce qui n’est pas explicitement décrit par la Loi caméras reste soumis aux principes du RGPD.
Les limites de la réglementation actuelle
"Aujourd’hui, on peut acheter n’importe quelle caméra à condition d’installer un filtre pour ne pas visionner le domaine public ou chez le voisin", raconte Philippe. Selon lui, c’est exactement là que réside le problème, car personne ne vérifie ces filtres. "On fait ça via une application, et c’est laissé au bon vouloir de la personne qui pose la caméra", ajoute-t-il.
Bien que son voisin ait apposé la plaque stipulant la vidéo-surveillance de sa maison, déclaré les caméras au SPF Intérieur, et rempli le registre imposé, les inquiétudes de Philippe persistent : les caméras filment toujours son jardin. Ce sont des caméras professionnelles, connues pour être "fiables jusqu’à 500 m". Certaines sont même dotées d’un enregistreur de sons.
Or, comme le rappelle Komlan Toulassi Mensah, porte-parole du service "Sécurité et Prévention" du SPF Intérieur, "même si les caméras de surveillance peuvent enregistrer le son, l’article 314 bis du Code pénal reste d’application. Cet article interdit, sous peine de sanctions pénales, d’écouter, de faire écouter, de (faire) prendre connaissance, ou d’enregistrer, intentionnellement, à l’aide d’un appareil quelconque, des communications ou des télécommunications privées, auxquelles on ne prend pas part, sans le consentement de tous les participants à ces communications".
Impacts sur la vie quotidienne
Au grand regret de Philippe, l’Autorité de protection des données n’a pas encore préconisé l’utilisation de filtres mécaniques physiques pour couvrir les endroits supposés rester hors surveillance. L’homme est consterné : "C’est inadmissible de pouvoir filmer chez les gens comme ça".
À l’heure actuelle, le Limalois attend toujours une réponse à son dossier. Bien que l’Autorité de protection des données ne puisse pas communiquer sur un cas concret, elle affirme prendre cela au sérieux. "Lorsqu’une enquête est ouverte chez nous à propos de caméras de surveillance, nous faisons appel aux services de police locaux pour effectuer les constations sur le terrain", explique Aurélie Waeterinckx, porte-parole de l’Autorité de protection des données.
Elle confirme également que la Loi caméras ne comprend pas d’indication concernant l’enregistrement potentiel de son à l’aide du dispositif de surveillance, mais que l’article 314 bis du Code pénal reste, dès lors, d’application.