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Pour son premier jour de travail, Antoine a eu une petite crise d'épilepsie. Inquiet, son patron l'a licencié dans la foulée.
Épileptique depuis une quinzaine d'année, Antoine (prénom d'emprunt) a appris à vivre avec ses crises. "Au départ, c'était vraiment des fortes crises avec la convulsion, la bave et je perdais connaissance. Ensuite, petit à petit, avec mes médicaments, ça a commencé à diminuer. J'ai commencé à faire moins de crises et avec des petits symptômes. Un petit peu de perte de parole et une perte de mobilité au niveau de la jambe", raconte-t-il.
Avec son traitement, qu'il prend de manière assidue, les crises d'Antoine sont non seulement devenue moins fortes, mais surtout moins fréquentes. "Ça dépend plutôt de la période. S'il y a un pic de stress dans ma vie courante ou si tout va bien. Quand c'est un gros pic de stress ou de peur de quelque chose, ça peut se manifester tous les deux jours. Mais actuellement, ma dernière crise remonte à environ une semaine."
Il a directement mis un terme au contrat
Récemment, il avait trouvé un emploi tout en spécifiant son handicap au patron. "Il m'a dit que ce n'est pas grave, que ce sont des choses qui arrivent, c'est la vie. Il a dit que lui aussi souffre de certains problèmes."
Antoine débute alors par une demi-journée de test qui s'avère concluante. Mais lors de son premier jour plein, avec le stress de la première, une crise d'épilepsie survient. "Tout s'est bien déroulé, j'ai bien géré, mes collègues ont été super sympas, m'ont accompagné le temps que ça se calme", rapporte Antoine qui assure que la scène n'a duré que 5 minutes durant lesquelles il a dû s'asseoir.
Il reprend ensuite le travail, mais "une ou deux heures après", il se fait convoquer. "Mon employeur me dit que selon lui c'est un danger, qu'il a pris un risque de m'embaucher et que s'il continuait avec moi, ce serait encore plus risqué. Et sans me donner une seconde chance, il a directement mis un terme au contrat."
Contacté par la rédaction, l'employeur raconte une version plus nuancée dans laquelle les deux hommes ont échangé longuement. La décision de ne pas poursuivre la collaboration n'aurait été prise qu'au terme de cette discussion. Le patron confie qu'Antoine aurait refait une petite crise durant la réunion et qu'il a ressenti que son employé n'était pas assez clairs dans ses propos.
"Je ne m'y attendais pas honnêtement, vraiment pas", confie notre témoin. "Je me suis senti vraiment discriminé, je ne m'attendais pas à cette réponse-là, j'étais choqué. Je me suis dit : 'ah oui, ça peut m'arriver à moi aussi. Donc c'est ça vraiment la discrimination ?'"
L'épilepsie peut toucher tout le monde
Chef du service de neurologie au CHR Namur et vice-président de la Ligue francophone belge contre l’épilepsie, Michel Ossemann décrit la pathologie comme "un dysfonctionnement transitoire du cerveau". "C'est une décharge anormale d'une population de cellules nerveuses, de neurones, qui va provoquer des symptômes qui peuvent être très variables."
"Tout le monde connaît la grande crise convulsive, mais à côté de ça on peut avoir des crises qui sont beaucoup plus discrètes, ça peut être une rupture de contact, ça peut être un comportement anormal et c'est limité dans le temps, ça va dépendre de la zone du cerveau qui est atteinte par la décharge anormale au niveau des cellules nerveuses", ajoute le professeur.
Ainsi, les personnes atteintes peuvent autant faire une crise "très brève, durant laquelle la conscience reste préservée, et qui n'a pas beaucoup d'impact et pour lequel il n'y a pas de risque particulier", qu'une crise "qui peut être plus invalidante".
Les traitements, qui sont dans la grande majorité remboursés à 100 %, fonctionnent chez, environ, 60 à 70 % des personnes atteintes. Pour les gens chez qui ça n'a pas d'effet, il existe d'autres solutions "comme par exemple la chirurgie de l'épilepsie, la stimulation du nerf vague ou la stimulation cérébrale profonde, ou encore d'autres techniques", souligne Michel Ossemann.
Pour les conseils que cet expert peut donner aux personnes atteintes de l'épilepsie, il résume cela en deux points.
- Se connaitre soi-même et sa maladie pour ne pas tomber dans les stéréotypes. "Ces stéréotypes, les patients en sont tout autant victimes, parce qu'ils ont souvent aussi une ignorance par rapport à la maladie, comme le reste de la population. Il faut donc éduquer les personnes pour qu'elles connaissent leur maladie, qu'elles sachent la prendre en charge et qu'elles ne s'autostigmatisent pas."
- Ne pas hésiter à demander de l'aide. "Une structure avec laquelle on est amené à collaborer, c'est l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, qui peut aider, la plupart du temps, dans une médiation, en apportant une information vers l'employeur. L'autre élément qu'il y a, c'est que parfois, il y a des aménagements raisonnables à devoir faire aussi au travail. Et ça, ce sont des choses qui peuvent se mettre en place, avec notamment la collaboration de la médecine du travail."
Personne n'est à l'abri
L'épilepsie se développe généralement dans deux phases de notre vie : durant l'enfance, dont certaines formes d'épilepsies peuvent disparaitre à l'adolescence, et vers l'âge de 60 ans. "Là, c'est en parallèle avec les maladies cérébrovasculaires, donc les AVC. Dans un certain nombre de cas, les lésions cérébrales peuvent être responsables de cicatrices qui peuvent provoquer des crises d'épilepsie."
"Mais on peut en avoir tout au long de la vie et ça peut toucher n'importe qui", ajoute encore l'expert.
En Belgique, entre 70.000 et 80.000 personnes sont atteintes de ce trouble.
Licenciement abusif ?
Pour revenir au cas d'Antoine, son employeur avait-il le droit de le licencier subitement et sur base de son épilepsie ? Olivier Wéry, avocat en droit du travail, décortique la situation.
Dès lors qu'un employeur engage une personne dont la santé ou la mobilité nécessite des aménagements, "il y a une obligation de procéder aux aménagements nécessaires du moment qu'ils restent raisonnables". Le caractère raisonnable étant légèrement subjectif, il dépend de la bonne volonté de l'employeur ou du tribunal du travail, si le conflit doit se traduire devant la justice.
Pour éviter d'en arriver là, Olivier Wéry recommande avant toute chose "d'essayer d'établir un dialogue entre le travailleur et l'employeur". "Mais fondamentalement, si ça ne va pas, le travailleur doit pouvoir consulter soit son syndicat soit un avocat, et alors introduire une demande devant le tribunal du travail."
"Si jamais le tribunal arrive à la conclusion qu'effectivement, il y a eu un comportement discriminatoire de la part de l'employeur, dans ce cas-là, l'employeur devra verser une indemnité équivalente à six mois de rémunération au travailleur pour le licenciement. Ces six mois venant s'additionner à l'indemnité classique de licenciement que le travailleur a peut-être reçu dans le cadre d'un préavis qu'il n'a pas presté."
L'honnêteté doit primer
Comme l'a fait Antoine lors de son entretien d'embauche, un employé peut signaler à son employeur qu'il est sujet à des crises d'épilepsie. Mais depuis quelques années, les employés ne sont plus légalement obligés de le faire. Un point toutefois, "si jamais vous savez très bien que votre type de handicap ne vous permettra pas de remplir la fonction, alors évidemment c'est autre chose. Là vous avez une obligation, me semble-t-il, de délivrer cette information parce que ça va tout à fait changer la donne et ça risque de fausser la route pour la suite de la collaboration", ajoute l'avocat.
Si d'aventure vous deviez vous retrouver devant un tribunal pour régler un différent de ce type, le verdict dépendra fortement des circonstances.
"Les deux discours sont tout à fait audibles. L'employeur d'un côté va dire que ce n'est pas uniquement une question d'aménagement raisonnable parce que pendant les crises d'épilepsie, pendant un certain moment, la personne est tout à fait incapable de travailler et elle peut même être dangereuse pour elle-même, elle pourrait être dangereuse pour les collègues et le code du bien-être au travail impose aussi à l'employeur de veiller à la santé du travailleur en question et également de ses collègues."
"D'un autre côté, le travailleur pourrait dire qu'il a donné cette information au moment où il a été engagé et dire qu'il revenait à l'employeur de procéder aux aménagements et avancer des arguments tels que : 'Si jamais vous m'avez engagé, vous devez assumer, c'est sans doute que vous estimiez que malgré mon handicap, je représentais une plus-value pour vous et vous devez 'jouer le jeu''."
Tout dépendra donc des arguments avancés par les uns et les autres, mais licencier une personne sur seule base qu'elle est épileptique relève de la discrimination.
"C'est vraiment le genre de cas qui est traité par un tribunal en fonction des circonstances et des détails précis, qui a dit quoi, à quel moment, quel type d'information on a délivré, quel était le coût, quelle est la place occupée par le travailleur, est-ce qu'il y a un risque de dangerosité pour lui ou pour les autres, donc vraiment ce sont tous des détails qui nécessitent de juger au cas par cas."
Pour Antoine, bien que désabusé, il n'ira pas en justice. Il a pu retrouver un travail, mais souhaite tout de même faire passer un message. "Quand on est épileptique, il ne nous manque pas un bras, une jambe, voire même je ne suis pas incapable de faire quelque chose dans la vie. Je fais mon sport comme tout le monde, je joue dans un club, je vais courir dehors, je vais au cinéma, je sais tout faire comme tout le monde. C'est vraiment faire comprendre aux gens que je ne suis pas différent des autres."