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En naviguant sur Facebook, Sarah, 33 ans, tombe sur une publication sponsorisée qui l'interpelle : un enfant gît sur un lit, une multitude de sondes sont plaquées contre son torse et son ventre. En légende de la publicité : "Valérie a besoin de notre aide". Un appel au don qui récolterait déjà plusieurs centaines de milliers d'euros.
La publication interpelle la Bonsvillersoise. Suspicieuse, elle décide de cliquer sur le lien : "C'était louche, d'une photo à l'autre, ce n'était pas le même enfant. En plus, la publication était presque trop bien écrite", relate-t-elle.
Nous avons retrouvé la page Facebook derrière cette campagne de publicité : "Valérie - Contre vents et marées". En description, nous pouvons lire : "Aidez Valerie (sic), 6 ans, à lutter contre le sarcome d'Ewing, un cancer rare des os. Après une brève victoire, il est revenu, se propageant rapidement. Des fonds urgents sont nécessaires pour un traitement salvateur à New York".
Chaque publication est accompagnée d'une photo d'une enfant qui s'appellerait Valerie (parfois écrit avec et parfois écrit sans accent aigu). Le 28 février, le ou la modératrice de la page explique : "Je m'appelle Maria et j'ai une fille qui s'appelle Valérie. Je suis désormais arrivée à un tournant où la fin se dessine devant mes propres yeux. Je le sais, ces jours-ci pourraient être les derniers de ma fille - et elle n'a que six ans". S'ensuit une longue histoire, ponctuée d'émojis qui semblent presque déplacés.
À la fin du message, un appel au don qui renvoie vers l'adresse "chance-letikva.com", le site n'a qu'une seule campagne active, celle de Valérie. Elle aurait récolté plus de 370.000 $. "C'est hallucinant, c'est dingue les montants", réagit Sarah. "En tapant le nom de l'ASBL, je suis tombée sur des blogs qui parlaient du site, mais il y en a en fait plusieurs, tous liés à des sociétés en Israël". L'un de ces sites, c'est Drove.com. L'entreprise s'occupe de l'aspect crowdfunding de ces sites frauduleux.
Selon le chercheur Nazar Tokar, auteur d'une enquête sur Drove, tous ces sites d'arnaque sont associés à deux ONG : Netiv Halev et Meirim Tikva. La première organisation a sa propre page sur Drove.com où l'on peut relever plusieurs incohérences. Mis à part les fautes d'orthographe, y compris dans le nom de l'ONG, l'adresse email générique, une suite de chiffres, est un signal d'alerte important.
Ils jouent sur les sentiments
D'autres campagnes existent. Toutes utilisent les mêmes mécanismes : des enfants à l'hôpital qui ont besoin de soins coûteux, et donc, de votre aide. "C'est horrible", regrette Mary Ann, administratrice de Neniu ASBL, une association qui aide les victimes d'arnaque sur Internet. "Ils jouent sur la corde sensible, personne n'a envie que des enfants meurent", ajoute-t-elle.
Triste et révoltant.
La bénévole est confrontée à ce genre d'arnaque quotidiennement. Plusieurs victimes ont déjà fait appel à son aide : "Ce sont les personnes de plus de 40 ans et surtout les grands-parents avec des grands cœurs, plus sensibles, qui vont se faire avoir. Parfois, ils ont une toute petite pension et ils veulent aider une famille. C'est ça qui est triste et révoltant". Toujours selon elle, ce genre d'escroquerie serait en augmentation : "On voit ce type d'arnaque depuis 4, 5 ans, mais maintenant, c'est vraiment flagrant", explique Mary Ann.
Usurpation d'identité
Si la pratique semble de plus en plus courante, c'est aussi à cause d'évolutions technologiques. Pour le commissaire Olivier Bogaert de la Computer Crime Unit de la police fédérale, il est de plus en plus facile de créer des arnaques crédibles : "Les criminels adaptent leur activité suivant les tendances actuelles et rédigent des messages parfaitement grâce à l'IA". Ensuite, rien de plus simple pour créer sa publicité sur le réseau social : "Les auteurs peuvent usurper l'identité d'une vraie association d'aide. Le citoyen qui ne prend pas ses précautions clique sur le lien, voit le nom de l'association, mais pas toujours l'URL (l'adresse web exacte, ndlr)", révèle Olivier Bogaert.
Que fait Facebook ?
Un large réseau d'escroquerie, sur le plus grand réseau social du monde (2,19 milliards d'utilisateurs). Nous pourrions nous attendre à une répression importante... Mais il n'en est rien. "Lorsqu'on signale la publicité à Facebook, ils nous répondent que la société ne viole pas les règles de la communauté. Facebook peut simplement cacher la publication pour nous", déplore Mary Ann. Nous avons contacté Meta, la maison-mère de Facebook, mais n'avons reçu aucune réponse de leur part.
Des obligations extrêmes
L'ASBL a aussi tenté de joindre l'entreprise américaine, sans succès : "C'est un mur complètement lisse. Tout ce qu'on peut faire, c'est cliquer sur des boutons pour signaler la publication et des machines analysent la plainte". En effet, Meta s'expose à des amendes très importantes depuis que le Digital Services Act, une réglementation européenne, a été lancé. "Ils ont des obligations extrêmes depuis août 2023, mais il faut vraiment qu'il y ait un signalement", explique Olivier Bogaert.
Le DSA oblige les plateformes en ligne à modérer leur énorme territoire virtuel sous peine de lourdes amendes. Les entreprises qui ne respectent pas les règles de manière répétée peuvent même être interdites.
Vérifier la légitimité
Pour éviter de se faire arnaquer, la première étape, c'est de vérifier à qui vous avez à faire. "Il faut avoir un esprit critique, chercher les sources", recommande Mary Ann. Même son de cloche pour le commissaire fédéral qui recommande de copier-coller "l'URL du site qui va être analysée dans Scamdoc", un outil accessible en ligne. "Souvent, pour les arnaques, c'est 1% de fiabilité", explique-t-il.
Dans tous les cas, à l'échelle du citoyen, la seule chose à faire, c'est de "signaler, signaler, signaler", martèle Mary Ann.