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Mei Lin, une Namuroise, témoigne après avoir été confrontée au racisme ordinaire. L'envie de s'exprimer est intervenue à la suite d'une agression verbale subie par son frère. Elle évoque des comportements discriminatoires qui persistent au quotidien, et souligne sa difficulté à réagir face à ces attitudes "souvent banalisées". Le MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie) met de son côté en lumière la nécessité de dénoncer les injustices.
Mei Lin, une jeune femme de 26 ans, se dit victime de racisme ordinaire depuis quelques années. Après que son frère ait été "insulté par un chauffeur de bus", la Namuroise a décidé de prendre la parole pour dénoncer certains agissements et certaines remarques.
"Récemment, mon frère a été victime d’une agression par un chauffeur de bus. Il a été traité de 'sale chinois'", dénonce-t-elle.
Pour Mei Lin, cette agression verbale a été un tournant. "Cela m’a un peu révolté, car je sais qu’il souffre plus que moi j’ai souffert du racisme", confie-t-elle.
La jeune femme dit faire face à des remarques souvent "banales", et face auxquelles il est difficile pour elle de réagir. "C’est difficile de savoir quoi dire face au racisme ordinaire. C’est souvent soit sous forme de drague, de blague… A part avec ce qu’il s’est passé avec mon frère, ce n’est jamais de la méchanceté directe ou une volonté d’être méchant directement. C’est souvent plus enjolivé, sous forme de question ou de remarque comme : 'Tu habites en Belgique toi ?', 'Mange pas mon chien'…"
"Que peut-on répondre ? Haha ?", s'interroge-t-elle. "Donc oui, on se force de rire. Cela nous met dans une position qui nous rappelle qu’on est différent. Or, je suis née à Charleroi. J’ai grandi à Bruxelles. Je ne parle pas un mot de coréen. Jusqu’à cet été, je ne connaissais pas du tout le pays, ni sa culture. C’est plus tout le temps nous rappeler qu’on est différent, alors qu’on ne l’est pas."
Pendant la pandémie de Covid-19, Mei Lin dit avoir été fortement marquée par ce qu'elle a observé. "Pendant le Covid, les gens reculaient, prenaient des distances. On sentait une double vigilance. Ma mère a été agressée verbalement. C’est nous rappeler qu’on n’est pas à 100% chez nous, alors que je me sens à 100% chez moi ici. Cela me met en colère car, je trouve que ça n’a pas sa place."
Il faut que les victimes osent dire 'Non, ça suffit'
Les situations évoquées par Mei Lin sont "rarement dénoncées", selon le MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie). La communauté asiatique en Belgique demeure l’une des moins représentées dans les statistiques de plaintes pour racisme.
"Bien que les cas signalés aient nettement augmenté au début de la pandémie (une hausse de 700 %), cette tendance s’est rapidement inversée", indique Esther Kouablan, la porte-parole du MRAX. "Aujourd’hui, les personnes d’origine asiatique représentent moins de 2 % des quelque 540 signalements de discrimination recensés annuellement, dont 420 concernent directement des actes discriminatoires."
Le MRAX met en avant plusieurs pistes pour expliquer cette discrétion. "La majorité des plaintes sont classées sans suite, ce qui n’encourage pas à signaler. Cette communauté est perçue comme discrète, et porter plainte pourrait venir troubler cette image", explique également Esther Kouablan. Elle insiste par ailleurs sur l’importance de témoigner. "Il faut que les personnes qui en sont victimes osent dire 'Non, ça suffit', car les plaintes ne sont pas visibles, alors que les blessures existent."
Sous cette apparence positive, se cache un racisme ordinaire
Alison Diec, doctorante en sciences politiques et sociales à l’Université de Liège, indique que "le racisme anti-asiatique diffère d’autres formes de racisme notamment parce que la perception publique de ces communautés semble, à priori, positive".
Selon elle, les communautés asiatiques sont en effet "auréolées de stéréotypes à priori positifs". "A partir des années 60 est apparu le mythe dit de la minorité modèle. Ces communautés sont représentées comme étant travailleuses, compétentes, discrètes et comme des modèles de réussite économique. Mais sous cette apparence positive, se cache un racisme ordinaire qui se traduit au travers de la discrimination. C’est par exemple le cas dans le monde du travail. Les membres des communautés asiatiques se heurtent à un plafond. Ils sont vus comme étant des employés compétents, mais toujours dans des postes subalternes", indique Alison Diec.
En temps de crise, ce statut "de modèle" a laissé place à l’image de "péril jaune", ajoute la doctorante.
"L’image de la minorité modèle a rapidement cédé la place à l’imaginaire du péril jaune, selon lequel les populations originaires d’Asie constitueraient une menace. Cela a par exemple été le cas durant la pandémie du Covid. Le virus a été nationalisé chinois et a été racialisé asiatique. Il y a eu une exacerbation de la xénophobie, et du racisme vis-à-vis de toutes les personnes perçues comme asiatiques. Cela s’est manifesté avec plus ou moins de violence, allant de l’évitement jusqu’aux attaques verbales et physiques. Depuis la fin de la pandémie, les attaques semblent s’être un peu calmées, mais le racisme ordinaire est toujours évidemment bien présent."
Alison Diec pointe également un "racisme genré", où les femmes asiatiques sont "fétichisées, fantasmées et hypersexualisées".
"Elles sont associées à certains stéréotypes dont celui d’être obéissantes, soumises, douces, délicates et calmes. Ces représentations les rendent particulièrement vulnérables au harcèlement, mais aussi aux violences sexuelles. Il semble que cette communauté ne dénonce pas systématiquement le racisme à leur encontre. Si une personne est l’objet d’une remarque raciste, même dans son entourage, il est plutôt difficile pour elle de réagir. Le racisme anti-asiatique est totalement banalisé, sous le couvert de l’humour. Si la personne devait réagir, l’autre personne dirait 'mais non, je rigole, on rigole…'. Mais en fait, ce sont quand même des blagues qui sous-tendent un racisme banalisé et minimisé. La période covid et l’exacerbation du sentiment anti asiatique a par ailleurs amené une prise de conscience et une envie de témoigner pour ne plus se laisser faire, surtout parmi les plus jeunes générations", conclut la doctorante.