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Métier socialement dévalorisé, traitement peu attirant, élèves et parents réputés plus difficiles… être enseignant dans le secondaire n'attire plus les foules depuis quelques années. Les conséquences sont importantes: on ne compte plus écoles secondaires en pénurie de professeur en Wallonie et à Bruxelles.
Une maman d'élève qui désire garder l'anonymat – on l'appellera Myriam – pour ne pas compromettre les études de sa fille, a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous pour pousser un coup de gueule.
"Je viens ici exorciser ma colère, mon indignation et celle de nombreux parents". La fille de notre témoin est l'une des nombreuses victimes du manque de professeurs en Wallonie, et passe au moins 6h par semaine à l'étude.
Une première année catastrophique : "11h d'étude par semaine"
"C'est la première année de ma fille au sein de l'Athénée provincial Jean d'Avesnes à Mons, auparavant elle était dans une autre école", nous a confié cette maman. "Elle est inscrite dans la section sciences sociales, en 3e secondaire, avec une option 'sciences' de 6 heures par semaine (bio, chimie, physique, laboratoire). Mais depuis le mois de septembre, dès la première semaine, elle n'a pratiquement pas eu cours de sciences".
En cause, donc, un manque de professeur. "Il n'y a qu'une seule prof' de sciences nommée dans l'école", d'après Myriam, ce qui, on l'imagine aisément, est largement insuffisant pour les différentes filières et classes de l'Athénée provincial: générale, transition, qualificative, etc…
Cette pénurie représente donc "6 heures d'études par semaine" pour la fille de Myriam, depuis le début de l'année. "Il y a bien une étude organisée, mais les élèves ne font rien. Ma fille lit des romans. Sans oublier qu'elle commence souvent à 10h et termine plus tôt. Bref, elle s'ennuie et s'habitue à ne rien faire".
Cerise sur le gâteau: "sa prof de sciences sociales est parfois malade, et là ma fille passe alors 11h à l'étude sur une semaine…"
Un cursus décousu et rempli de lacunes... Elle voudrait faire le droit... peut-être... peut-être pas...
Quelles sont les options de cette mère de famille en colère ?
Myriam s'inquiète concrètement pour l'avenir de sa fille. "Pour son bulletin de la première période, il y a 6 cours qui ne sont pas notés, et 3 cours pour lesquels les examens de décembre ont été supprimés".
Sans conteste, les élèves accumulent des lacunes au fil des mois. "De nombreux élèves partent s'inscrire ailleurs, dans son option ils ne sont plus que 8".
La maman avec qui nous avons discuté est désemparée. Elle pense logiquement, elle aussi, à changer sa fille d'école. "Soit je la change d'établissement maintenant avec le danger que cela représente pour l'adaptation dans une nouvelle école, la récupération de 4 mois de matière survolée et non vue, etc… Soit je la laisse dans cette école et vu cette année chaotique je la change l'année prochaine. Si j'opte pour ce deuxième choix il est obligatoire de trouver une école avec la même option et celle-ci n'existe nulle part ailleurs dans la région ! Jolie prise d'otage !"
L'autre option est de laisse sa fille dans cet athénée, et d'espérer des jours meilleurs. Mais elle n'y croit pas trop. "Je pourrais laisser mon enfant jusqu'en rhéto à Jean d'Avesnes, avec le risque que la situation se représente tous les ans et donc un cursus décousu et rempli de lacunes... Elle voudrait faire le droit... peut-être... peut-être pas..."
La province "fait ce qu'elle peut"
Difficile d'en vouloir spécifiquement à la direction de l'école, qui nous a d'ailleurs renvoyé vers son PO (le pouvoir organisateur, à savoir la Province de Hainaut dans ce cas-ci) pour obtenir une réaction.
Le cas de l'Athénée Jean d'Avesnes de Mons est, comme on l'imaginait, loin d'être isolé. "Ce problème spécifique n'est pas remonté jusqu'à nous", explique Ronald Isaac, chargé de communication de la députée provinciale Annie Taulet, responsable notamment de l'enseignement. "La pénurie est partout, hélas".
D'après Myriam, la direction de l'école "ne se bouge pas assez" et lui aurait même confié "ne pas savoir ce qu'elle peut faire exactement pour démarcher des professeurs (appel à candidature sur Facebook, etc)".
Des accusations démenties par le cabinet de la députée provinciale. "Ils font beaucoup de recherches, jusqu'à poster des annonces avec le Forem ou à chercher des profs de langues en Flandres".
Mais la réalité est là. "Il y a une pénurie d'enseignants en langues, en sciences et en informatique", et la Province ne peut pas y faire grand-chose. En tant que pouvoir organisateur, elle ne s'occupe pas de la réforme de l'enseignement que la Ministre régionale Marie-Martine Schyns ne cesse de promouvoir, et qui pourrait revaloriser le métier.
"Tout au plus, une direction d'école peut promettre un cadre de travail agréable pour attirer les professeurs", mais pas de supplément de salaire, par exemple… L'argent ne sera donc jamais un argument pour les jeunes diplômés en sciences, langues ou informatique, s'orientent presque exclusivement vers le privé.
"Notre stratégie, c'est de se démener sur le terrain pour aller chercher les professeurs", précise Ronald Isaac, qui conclut que "personne n'est heureux de cette situation".
Qu'est-ce qui explique cette pénurie ?
Nous avons discuté avec Dany Hismans, inspecteur général à la Direction générale régionale de Mons-Borinage, et donc responsable de l'Athénée Jean d'Avesnes. "Cette pénurie n'est pas nouvelle, je dirais que ça fait environ quatre ans qu'on la sent, mais elle s'accélère car on a du mal à remplacer les enseignants qui partent à la pension".
Les causes ? "C'est d'abord la difficulté du métier, sans doute plus importante dans les écoles qualifiantes ou professionnelles, car les jeunes s'y retrouvent parfois par hasard, sans projet d'avenir. Ils ne sont donc pas motivés, perturbent les cours". Tout cela instaure une mauvaise ambiance avec le professeur. "On en trouve parfois et après deux semaines, ils arrêtent car ils se rendent compte que ce n'est pas le métier qu'ils cherchaient".
L'inspecteur générale ne pointe pas spécialement du doigt le salaire. Si "le métier n'attire plus les jeunes" et "est devenu un choix par défaut" pour certains, c'est parce qu'il n'a "pas su s'adapter à la société, qui a notamment été bouleversée au niveau des technologies qui avancent trop vite". Les méthodes sont les mêmes, mais la réalité du monde, des jeunes, a changé. Ce décrochage serait à l'origine d'une perte de motivation des élèves, d'un climat malsain, et d'un "métier qui devient difficile, pénible".