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Tunisie: vague d'arrestations de chroniqueurs pour des commentaires critiques

Deux chroniqueurs de radio et télévision connus en Tunisie ont été placés en détention dimanche pour des critiques de la situation du pays, au lendemain de l'interpellation musclée en direct sur une télévision française d'une avocate et commentatrice pour des motifs similaires.

Interpellés samedi soir, Borhen Bssais, présentateur à la télévision et à la radio, et Mourad Zeghidi, commentateur politique, font l'objet depuis dimanche d'un mandat de dépôt pour diffusion de "fausses informations (...) dans le but de diffamer autrui ou porter atteinte à sa réputation", a indiqué à l'AFP le porte-parole du tribunal de Tunis, Mohamed Zitouna.

Leur interpellation a coïncidé avec celle de Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, voix critique connue du président Kais Saied. Son arrestation mouvementée au sein de la Maison de l'avocat où elle s'était réfugiée entourée de collègues, a été filmée en direct par la chaîne française France 24 avant l'interruption de la liaison par des policiers.

Le bâtiment a été "pris d'assaut par des dizaines d'agents des forces de sécurité masqués, qui ont fait usage de violence", a protesté devant la presse Laroussi Zguir, président de la section de Tunis de l'Ordre des avocats, réclamant la "libération immédiate" de Mme Dahmani et annonçant une grève des avocats à partir de lundi.

La chaîne publique d'information France 24 a de son côté dénoncé l'attitude des policiers qui ont interrompu l'intervention de sa correspondante, "arraché la caméra de son trépied" et arrêté pour "une dizaine de minutes" son caméraman. France 24 a "condamné fermement cette entrave à la liberté de la presse et cette intervention brutale et intimidante des forces de l'ordre empêchant ses journalistes d'exercer leur métier".

Les trois chroniqueurs détenus sont poursuivis en vertu du décret 54, promulgué en septembre 2022 par le président Saied pour réprimer la diffusion de "fausses nouvelles" mais critiqué par les défenseurs des droits tunisiens et internationaux car sujet à une interprétation très large.

En un an et demi, plus de 60 personnes, dont des journalistes, des avocats et des opposants à M. Saied, ont fait l'objet de poursuites sur la base de ce texte, selon le Syndicat national des journalistes.

Depuis que le président Saied, élu démocratiquement en octobre 2019 pour cinq ans, s'est octroyé les pleins pouvoirs lors d'un coup de force en juillet 2021, des ONG tunisiennes et internationales ont déploré une régression des droits en Tunisie.

- "Droits et libertés" -

Dimanche matin, environ 300 personnes se sont rassemblées à Tunis à l'appel du Front de salut national (FSN), principale coalition d'opposition, pour demander la "libération des détenus politiques", alors qu'une quarantaine de personnes dont plusieurs responsables du FSN sont détenus, pour certains depuis février 2023, pour "complot contre la sûreté de l'Etat".

"Stop Etat policier" ou "Dégage Kais Saied", scandaient les manifestants.

Ahmed Néjib Chebbi, cofondateur du FSN, a dénoncé "un système liberticide" en Tunisie. "Toutes les libertés ont été poignardées. Aujourd'hui, c'est le pouvoir personnel absolu (de Kais Saied, NDLR) qui soumet tous les instruments de l'Etat pour étouffer les droits et les libertés", a-t-il dit à l'AFP.

M. Zeghidi est poursuivi "pour une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle il soutenait un journaliste arrêté (Mohamed Boughalleb, condamné à six mois de prison pour diffamation d'une fonctionnaire, NDLR) et des déclarations lors d'émissions télévisées depuis février", a dit à l'AFP son avocat Ghazi Mrabet.

M. Bssais, présentateur dans des médias privés où intervient M. Zeghidi, a été arrêté pour "avoir porté atteinte au président Kais Saied à travers des émissions radio et des déclarations", a précisé à l'AFP son avocat Nizar Ayed.

Sonia Dahmani se voit, elle, reprocher d'avoir lancé sur un ton ironique mardi dernier dans une émission télévisée: "de quel pays extraordinaire parle-t-on?", en réponse à un autre chroniqueur qui affirmait que les migrants arrivant d'Afrique subsaharienne cherchaient à s'installer en Tunisie.

Outre la vague qui touche les commentateurs, plusieurs ONG d'aide aux migrants ont subi des contrôles la semaine passée, et la présidente de l'association antiraciste Mnemty ("mon rêve"), Saadia Mosbah, est en garde à vue pour des soupçons de blanchiment d'argent.

Mme Mosbah avait été en première ligne dans la défense des migrants subsahariens en Tunisie après un violent discours en février 2023 du président Saied dénonçant l'arrivée de "hordes de migrants clandestins" dans le cadre d'un complot "pour changer la composition démographique" du pays.

La Tunisie est l'un des principaux points de départ avec la Libye de l'émigration clandestine vers l'Italie.

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