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Manifestations spontanées dans les rues, bruits de casseroles depuis les immeubles... Des Vénézuéliens protestent contre la réélection du président Nicolas Maduro proclamée par le Conseil national électoral (CNE) alors que l'opposition crie à la fraude.
Au moins une personne est morte d'après une ONG dans une des manifestations spontanées qui ont éclaté lundi au Venezuela, ponctuées d'échauffourées avec les forces de l'ordre, après la réélection du président Nicolas Maduro qui suscite le scepticisme de la communauté internationale, l'opposition affirmant de son côté pouvoir "prouver" sa victoire.
"Au moins une personne a été tuée dans (l'Etat de) Yaracuy (nord-ouest) et 46 personnes sont détenues" à la suite des événements post-électoraux, a écrit sur X Alfredo Romero, directeur de l'ONG Foro Penal, spécialisée dans la défense des prisonniers politiques. "Qu'il rende le pouvoir maintenant", ont lancé lundi des milliers de manifestants dans plusieurs quartiers pauvres de Caracas, certains brûlant des affiches à l'effigie du président.
"C'est la fraude la plus massive au monde", s'insurge Luis Garcia, 23 ans, dans la foule des protestataires à Pétaré, dans l'est de Caracas.
"Pour la liberté de notre pays ! Pour l'avenir de nos enfants. Que Maduro s'en aille !", crie Marina Sugey, 42 ans.
Les manifestants, qui ont lancé des pierres, ont été dispersés par des tirs de grenades lacrymogènes alors qu'ils se rapprochaient du centre de la capitale.
"On doit protester"
"On est déçus, cela ne reflète pas la réalité, on a voté contre Nicolas", dit Carolina Rojas, 21 ans, dans le cortège à Petaré. "On est dehors parce qu'il y a eu des fraudes", ajoute David, 40 ans, qui n'a pas voulu donner son nom de famille. "Ils appellent l'armée (pour réprimer) mais on doit protester".
"Je ne veux pas de primes, je ne veux pas de Claps, je veux que Maduro s'en aille", chantent les manifestants, faisant allusion aux bas salaires et aux aides alimentaires (Clap) distribués par le gouvernement. Le salaire minimum est de 4 dollars mensuels mais le gouvernement a instauré des primes obligatoires d'environ 130 dollars.
En centre-ville, dans la matinée, les gens hésitaient à sortir mais manifestaient leur colère depuis les fenêtres en tapant sur des casseroles.
Quelques-uns sont néanmoins descendus dans la rue comme cette femme qui raconte, les yeux pleins de larmes et sous couvert d'anonymat, sa réaction à l'annonce du CNE. "J'ai ressenti beaucoup d'impuissance, je suis sortie pour crier. Ils ont attendu jusqu'à une heure du matin pour donner de faux résultats", peste-t-elle.
Nicolas Maduro a été officiellement proclamé lundi président du Venezuela par le Conseil national électoral (CNE). Balayant les critiques de l'opposition et de la communauté internationale, M. Maduro a dénoncé une tentative d'imposer un "coup d'Etat fasciste au Venezuela".
"Preuves de la victoire"
Lundi soir, la cheffe de l'opposition vénézuélienne Maria Corina Machado, qui n'avait pu se présenter au scrutin car déclarée inéligible par le pouvoir, a assuré lors d'une conférence de presse que l'opposition avait les moyens de "prouver" la victoire de son candidat Edmundo Gonzalez Urrutia, discret diplomate qui l'avait remplacée au pied levé.
L'opposition a réuni 73% des bordereaux de résultats des bureaux de vote et selon elle, M. Gonzalez Urrutia a obtenu 6,27 millions de voix, contre 2,7 millions au président sortant Nicolas Maduro, proclamé vainqueur par le CNE.
Mme Machado a affirmé que ces "preuves de la victoire" ont été fournies à "des dirigeants" dans le monde et qu'elles seraient mises en ligne pendant la nuit.
La veille, le chef du CNE avait dénoncé une "agression contre le système de transmission des données qui a retardé" le décompte. Ces décomptes par bureaux de vote que réclament l'opposition et la communauté internationale ne sont pas disponibles. Lundi, le parquet a ouvert une enquête, évoquant l'implication de Mme Machado dans ce "piratage".
Selon les résultats officiels du CNE, M. Maduro, 61 ans, l'héritier de l'ancien président Hugo Chavez (1999-2013), a été réélu pour un troisième mandat consécutif de six ans avec 5,15 millions de voix (51,2%). Edmundo Gonzalez Urrutia, 74 ans, en a recueilli un peu moins de 4,5 millions (44,2%), d'après le CNE. L'opposition, qui espérait mettre fin à 25 années de pouvoir chaviste, avait aussitôt rejeté ce résultat.
"Nous allons nous battre pour notre liberté", a assuré lundi soir M. Gonzalez Urrutia, rappelant à "toutes les institutions" leur "devoir constitutionnel de respecter la volonté populaire". Il a néanmoins estimé que les "manifestations" du jour ne contribuaient pas à "l'objectif". A ses côtés, Mme Machado a préféré appeler à des "assemblées populaires" mardi à travers le pays.
"Dissiper les doutes"
Si M. Maduro a reçu le soutien de la Russie et de la Chine ainsi que de ses alliés habituels (Cuba, Nicaragua, Honduras et Bolivie), il semble être isolé avec l'afflux de réactions négatives ou sceptiques de la communauté internationale.
Neuf pays d'Amérique latine (Argentine, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Uruguay) ont ainsi appelé dans une déclaration commune à un "réexamen complet avec la présence d'observateurs électoraux indépendants".
Le Brésil et la Colombie, deux pays de gauche, ont demandé une vérification du dépouillement alors que les Etats-Unis ont affirmé "craindre que le résultat annoncé ne reflète pas la volonté ou le vote du peuple vénézuélien".
Le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, et la France ont appelé à la "transparence totale", demandant l'intégralité des procès-verbaux et des résultats.
Caracas a réagi à cette levée de boucliers en retirant son personnel diplomatique de sept pays d'Amérique latine (Argentine, Chili, Costa Rica, Panama, Pérou, République dominicaine et Uruguay), estimant que leur position "porte atteinte à la souveraineté nationale".
Le Venezuela a aussi annoncé suspendre à partir de mercredi les vols avec le Panama et la République dominicaine, dénonçant des "actions d'ingérence" de ces gouvernements.
"Ce n'est pas le résultat idéal pour Maduro", a estimé Rebecca Hanson, de l'Université de Floride. "En termes d'acquisition d'une certaine légitimité internationale - ce qui était un objectif de M. Maduro -, cette élection a été un désastre".
Intimidations
La campagne et le scrutin se sont déroulés dans une ambiance tendue, l'opposition dénonçant de nombreuses intimidations et arrestations.
Caracas avait limité la possibilité d'observer le déroulement du scrutin. Le Centre Carter, un des rares observateurs indépendants présents, a appelé le CNE à publier les résultats du scrutin de dimanche dans chaque bureau de vote.
Le Venezuela, longtemps un des plus riches pays d'Amérique latine, est exsangue: effondrement de la production pétrolière, PIB réduit de 80% en dix ans, pauvreté, systèmes de santé et éducatif totalement délabrés. Sept millions de Vénézuéliens ont fui leur pays.
Le pouvoir accuse le "blocus criminel" d'être à l'origine de tous les maux: les Etats-Unis avaient durci leurs sanctions pour tenter d'évincer M. Maduro après sa réélection déjà contestée de 2018, un scrutin entaché de fraudes selon l'opposition, qui avait débouché sur des manifestations sévèrement réprimées.