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Avant d'avorter, Piper aurait voulu mûrir sa décision. Mais depuis que l'Arizona risque de ressusciter une loi de 1864 interdisant quasiment toutes les procédures, réfléchir est un luxe qu'elle ne peut plus se permettre.
"Il y a beaucoup d'incertitudes à l'heure actuelle en Arizona", regrette cette trentenaire qui préfère donner un pseudonyme, dans une clinique de Phoenix.
Une épée de Damoclès pèse sur les femmes de cet Etat du Sud-Ouest américain depuis début avril, lorsque la justice locale a estimé valide une loi sur l'avortement vieille de 160 ans.
Ce texte remontant à la Guerre de Sécession interdit toute IVG, sauf si la vie de la mère est en danger. Le viol ou l'inceste ne sont pas considérés comme des exceptions valables.
La décision a provoqué un choc aux Etats-Unis, où le droit constitutionnel à l'avortement n'est plus garanti depuis une décision de la Cour suprême en 2022. Avant la présidentielle de novembre qui devrait, sauf surprise, voir Joe Biden s'opposer une nouvelle fois à Donald Trump, elle remet la question au centre du jeu politique.
En Arizona, où l'avortement était jusqu'ici permis jusqu'à 15 semaines de grossesse, elle engendre surtout une course contre la montre pour de nombreuses femmes, confrontées à un océan d'incertitudes.
- "Anxiété" -
"L'anxiété des patientes est montée en flèche", raconte à l'AFP Gabrielle Goodrick, directrice de la clinique Camelback Family Planning. Car la mesure est "draconienne, bouleversante."
Son établissement reçoit 20 à 30 femmes par jour. Ces jours-ci, les téléphones y sonnent constamment pour des demandes d'informations et de rendez-vous, tandis que des militants anti-avortement se postent parfois sur le parking pour tenter de dissuader les patientes.
L'application de la loi, qui prévoit entre deux et cinq ans d'emprisonnement pour les médecins pratiquant un avortement, reste très incertaine.
Kris Mayes, la procureure générale démocrate d'Arizona, a juré qu'elle ne poursuivrait aucun médecin ou femme pour une IVG.
Mais cette magistrate n'est pas éternelle, et le texte pourrait formellement entrer en vigueur le 8 juin, avec un délai de prescription de sept ans, selon Mme Goodrick.
"Si dans deux ans un procureur général républicain est élu, il pourra revenir en arrière" et engager des poursuites, craint la médecin.
Sa clinique envisage donc de ne plus proposer d'avortement dès cet été.
"A long terme, nous ne voulons pas avoir d'ennuis", poursuit la médecin, sans cacher sa déconvenue.
"C'est frustrant, mais en même temps, ce n'est pas inattendu avec la montée de Trump (...) et de ces opinions extrêmes", regrette-t-elle.
L'ex-président républicain rappelle régulièrement qu'il a donné une majorité de juges conservateurs à la Cour suprême, ce qui a permis d'annuler la protection constitutionnelle du droit à l'avortement il y a deux ans.
- "Expérience traumatisante" -
Depuis, une vingtaine d'Etats américains ont interdit ou sévèrement restreint l'accès à l'IVG. Mais le sujet est devenu un épouvantail électoral qui handicape les conservateurs.
"Forcer une femme à avoir un bébé est une expérience traumatisante, ils ne comprennent pas ce que cela signifie", lâche une patiente venue du Texas voisin, où l'avortement est sévèrement restreint.
M. Trump lui-même a reconnu que la loi de 1864 Arizona, sans exception pour le viol et l'inceste, allait "trop loin".
L'embarras gagne jusqu'aux rangs des républicains locaux, qui contrôlent le Parlement de cet Etat. Une poignée d'entre eux se sont joints aux démocrates de la Chambre basse pour voter l'abolition du texte, largement impopulaire dans les sondages.
La loi pourrait ainsi être reléguée aux oubliettes dans les prochaines semaines. Mais pour cela, le Sénat local doit également voter l'abolition et les débats promettent d'y être animés.
En attendant, les démocrates capitalisent sur leur défense du droit à l'IVG, pour en faire un argument majeur en faveur de la réélection de Joe Biden - l'Arizona est un Etat-clé où il a devancé Donald Trump d'à peine 10.000 voix en 2020.
La sénatrice locale Eva Burch a notamment marqué les esprits en mars, en racontant devant les parlementaires les difficultés qu'elle a rencontrées pour obtenir un avortement, malgré le fait que son foetus n'était pas viable.
L'Arizona "crée un environnement vraiment hostile et inhospitalier pour les femmes", qui contribue à les "dissuader de l'expérience de la grossesse", a-t-elle affimé.