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Contraception forcée: des Groenlandaises demandent des comptes à l'Etat danois

Séparée de sa famille dès l'âge de 11 ans, Henriette Berthelsen a ensuite été contrainte de porter un stérilet, un traumatisme qu'elle a longtemps tu avant de porter plainte contre le Danemark, comme 142 de ses compatriotes du Groenland.

"J'ai tellement refoulé (...) D'après le dossier médical, on m'a posé un stérilet à neuf reprises à partir de mes 13 ans", explique cette psychologue et militante dans son appartement de la banlieue de Copenhague, où elle a reçu l'AFP.

"Heureusement, si l'on peut dire ça, je les ai perdus", dit-elle, la voix cassée. "Je me souviens de grandes douleurs".

A 66 ans, Henriette Berthelsen est l'une des 143 Inuites à avoir déposé plainte contre le Danemark pour violation de ses droits lors de la campagne de contraception forcée menée dans les années 1960 à 1980.

Ces plaintes devraient déboucher sur un procès.

Et à l'automne, 67 des plaignantes ont demandé environ 40.000 euros de réparations. L'Etat n'a pour l'instant pas donné suite.

"Toutes les demandes d'indemnisation vont être évaluées par le ministère" de la Santé et de l'Intérieur, a indiqué ce dernier dans un courriel à l'AFP.

Pour Copenhague, cette campagne de contraception forcée visait à limiter la natalité dans le territoire arctique qui, s'il n'était plus une colonie depuis 1953, restait sous tutelle.

- "On ne contredit pas un Danois" -

Les parents d'Henriette Berthelsen n'ont jamais donné leur consentement à ces interventions.

Envoyée pendant un an au Danemark pour y apprendre la langue, la fillette a ensuite été scolarisée dans un pensionnat danois à Nuuk, la capitale du territoire, loin de son hameau de Qeqertarsuatsiaat (sud-ouest du Groenland).

"Un panneau disait que toutes les filles de l'internat devaient se rendre à l'infirmerie", raconte t-elle. La pose du stérilet ne fonctionne pas pour l'enfant aux longues tresses noires dont elle montre une photo.

Longtemps, Henriette s'est tue, gardant en tête un adage de sa mère: "On ne contredit pas un Danois". Et pour nombre de ses camarades de classe, le traumatisme marquera durablement leur vie de femme.

"De ma classe d'alors, un nombre notable de femmes n'ont pas pu avoir d'enfants", relève la sexagénaire qui milite pour que les victimes de contraception forcée puissent recevoir une aide psychologique quand elles résident au Danemark, le système de santé groenlandais le proposant.

Pour Ebbe Volquardsen, maître de conférence à l'université de Nuuk, "il faut du temps pour que les groupes marginalisés (...) prennent conscience de l'inégalité systémique et soient capables de la problématiser".

C'est la prise de parole d'une autre victime puis une série de podcasts en 2022 qui ont révélé au grand public l'existence de cette campagne de contraception, oubliée des pouvoirs publics et refoulée par les victimes.

"C'est important que l'Etat danois prenne ses responsabilités", dit Henriette Berthelsen.

"Certaines choses se sont produites en conséquence du colonialisme", comme de "décider à la place d'un peuple s'il est trop ou pas assez nombreux, commettre un génocide, commettre des violences et des offenses sur des jeunes filles", enrage-t-elle.

"Dans le contexte des années 2020 (...) les éléments autoritaires de la campagne sont apparus comme un exemple choquant de la manière dont la situation coloniale/postcoloniale a affecté l'interaction entre les Groenlandais et les Danois", abonde l'historien Søren Rud.

- "Enorme succès" -

L'avocat des plaignantes, Mads Pramming, a versé au dossier un exemplaire de 1971 de la revue du médecin qui présente le "succès" de cette politique.

"Il y avait 9.000 femmes d'âge fertile et en l'espace de quatre ans, ils ont posé des stérilets à la moitié d'entre elles, 4.500 donc, et la population a énormément chuté", explique-t-il.

"Dans certains villages, il n'y a eu aucune naissance (...) ils ont crié à l'énorme succès".

Pour l'immense majorité des plaignantes, dont la plus âgée a maintenant 82 ans, la campagne a marqué durablement les corps.

"Parmi les 143, une cinquantaine a dû se faire retirer l'utérus et n'a pas pu avoir d'enfants, toutes ont toujours souffert" physiquement et mentalement, résume M.Pramming.

"Leurs témoignages sera la preuve la plus lourde dans cette affaire", estime l'avocat.

D'autant plus qu'un incendie a détruit une bonne partie des dossiers médicaux des femmes concernées.

"Je doute qu'un docteur aurait inscrit dans le dossier médical qu'il a posé un stérilet à une jeune fille de 12 ans qui pleurait et était tenue par deux adultes", avance-t-il.

Outre les travaux en cours d'une commission historique devant faire la lumière sur les relations passées entre le Danemark et l'immense île arctique, des chercheurs ont ouvert une enquête spécifiquement sur la campagne de contraception. Leurs conclusions doivent être rendues mi-2025.

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