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En Afghanistan où l'opposition est muselée, un homme fait entendre une voix discordante: l'ex-chef de guerre Gulbuddin Hekmatyar, rentré d'exil en 2017 et resté à Kaboul après le retour au pouvoir des talibans.
En appelant à l'organisation d'élections ou à l'éducation des filles, l'ancien Premier ministre (1996-97) et chef du parti radical islamiste Hezb-e-Islami aborde des sujets dérangeants pour l'Emirat islamique.
"Vous êtes resté après la victoire" des talibans en août 2021, "si vous n'aimiez pas le système, vous auriez dû quitter le pays", lui a lancé la semaine dernière, exaspéré, le ministre de la Justice Abdul Hakim Sharai.
Le 14 mars, Hekmatyar, longue barbe blanche, turban noir et fines lunettes, avait jeté un pavé dans la mare avec un discours diffusé par la télévision de son parti, Barya TV.
"Pour toute décision, la présence du peuple est nécessaire, soit directement, soit par des représentants élus", avait-il lancé.
Puis, sur les Afghanes: "hélas, les femmes sont privées de la plupart des droits que l'islam leur a accordés", avait-il ajouté, alors que les talibans ont banni les filles de plus de 12 ans de l'éducation et quasiment exclu les femmes de la sphère publique.
"Ce n'est pas par provocation, c'est pour clarifier ce qu'est pour nous un Etat islamique", décrypte un membre de la direction du Hezb-e-Islami pour l'AFP.
"Nous considérons que l'islam n'est pas une dictature. Le numéro un des talibans (l'émir Hibatullah Akhundzada, ndlr) est allergique" à ce discours, poursuit-il sous le couvert de l'anonymat.
- Des ennuis -
Pour autant, Hekmatyar est loin d'avoir le passé d'un démocrate.
Des années 90 aux années 2010, son groupe d'insurgés a commis des massacres de civils, des assassinats d'intellectuels ou des vitriolages de femmes, selon des organisations de défense des droits humains.
Les milliers de morts des bombardements qu'il avait ordonnés sur la capitale pendant la guerre civile (1992-1996) lui ont valu le surnom de "boucher de Kaboul".
Et ses prises de position récentes lui ont attiré des ennuis.
En décembre 2022, l'Université Islami appartenant à son parti a été fermée.
Fin mars, il a dû quitter, à 76 ans, la résidence octroyée par l'ancien régime -- la république islamique -- quand il était rentré de 20 années d'exil avec la garantie de son immunité.
Son déménagement forcé a fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux parmi les opposants de la diaspora.
Sur les 12.000 m2 d'un terrain du ministère de la Défense où il avait fait construire sa résidence mais aussi une mosquée, quelque 200 personnes travaillaient.
Gulbuddin Hekmatyar y recevait beaucoup, parfois des centaines de visiteurs, et il faisait des discours, très politiques.
Il a été interdit de sermons du vendredi à la mosquée.
Puis, le 16 avril, sa chaîne Barya TV a été suspendue pour "avoir violé les valeurs islamiques".
Certes, "ce ne sont pas des signes positifs pour lui", dit un ancien diplomate occidental familier de l'Afghanistan.
Mais les autorités "sont un peu coincées avec lui, car il bénéficie d'un réseau de soutien et de protection au sein des talibans -- certains de ses anciens commandants -- et à Téhéran", où il s'était d'abord exilé.
- Espoir d'un "sursaut" -
L'ex-chef de guerre semble enfoncer un coin entre les deux grandes factions talibanes au pouvoir selon les experts: celle de Kandahar, le fief du mouvement dans le sud d'où le chef suprême dirige le pays par décret, et celle de Kaboul, soit le gouvernement, censée être un peu moins rigoriste.
"Il y a une divergence de vues entre les gens de Kaboul et les Kandaharis" sur la manière de gérer Hekmatyar, dit le haut responsable de son parti. "Les gens de Kaboul sont opposés aux demandes du numéro un taliban qui veut qu'il se taise".
Le porte-parole du gouvernement afghan n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Mais que cherche Gulbuddin Hekmatyar?
"Il se positionne. Il estime avoir un rôle à jouer (...) au cas où le gouvernement évoluerait", dit l'ex-diplomate.
"Il envoie aussi le message à la communauté internationale qu'il faut toujours compter avec lui".
L'Afghanistan des talibans n'étant reconnu par aucun pays, des capitales occidentales tentent d'oeuvrer en coulisse à un élargissement du gouvernement pour qu'il soit plus "inclusif".
Mais pour Nahid, une membre de l'association de défense des droits humains Rawa qui parle sous pseudonyme, Hekmatyar "veut juste attirer l'attention de l'Occident".
"Son idéologie est la même que celle des talibans: il est contre la démocratie et les droits des femmes", poursuit-elle.
Le responsable du Hezb-e-Islami explique pour sa part qu'"il n'est pas dans l'intention (de Hekmatyar) de renverser le régime".
Mais il voudrait que les talibans "de Kaboul se lèvent" et "qu’il y a ait un sursaut au sein de ce régime".
En attendant, assure-t-il, Hekmatyar "ne changera pas son discours d'un iota. Quoiqu'il en coûte".