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Face aux déficits croissants et au creusement des inégalités, la France doit davantage taxer les "super-héritages", exhorte l'ONG Oxfam qui dénonce dans un rapport les niches fiscales et les exonérations excessives.
"Il y a un casse-tête budgétaire et le seul sujet que l'on met en avant c'est +quelles économies+" réaliser, a affirmé la directrice générale d'Oxfam France, Cécile Duflot, au cours d'une conférence de presse présentant ce rapport, publié mardi.
Il y aurait pourtant matière à trouver des recettes supplémentaires à travers une taxation accrue des héritages les plus importants, de l'avis de l'ONG, selon qui les riches échappent en grande partie à l'impôt sur les successions.
Selon le rapport réalisé par la responsable justice fiscale et inégalités d'Oxfam France, Layla Abdelké Yakoub, le débat sur l'héritage est d'autant plus brûlant que la France est à la veille de la "grande transmission de richesse", une période durant laquelle va être transférée aux générations suivantes la fortune accumulée par les "baby-boomers" qui "ont cumulé 20% de plus de patrimoine que les générations précédentes".
- 25 milliardaires français -
Les "super-héritiers" français sont particulièrement dans le collimateur de l'ONG: 0,1% des héritiers reçoivent aujourd'hui environ 13 millions d'euros en moyenne, soit 180 fois l'héritage médian, mais ne s'acquittent que de 10% de droits de succession contre un taux marginal de 45% en principe, affirme Oxfam, tandis que "près de la moitié de la population n'hérite pas ou peu".
De plus, plus de 460 milliards d'euros pourraient être transmis dans les trente prochaines années par 25 milliardaires français qui ont aujourd'hui plus de 70 ans. S'ils ne sont taxés qu'à 10% là aussi, le manque à gagner pour l'Etat est évalué à 160 milliards d'euros, selon les calculs de l'ONG basés sur des données du Conseil d'analyse économique (CAE).
Parmi les niches fiscales et exonérations dont les riches bénéficient, le rapport cite le Pacte Dutreil - qui permet les transmissions d'entreprises - et l'assurance vie qui à eux deux représentent chaque année selon Oxfam un manque à gagner de plusieurs milliards d'euros pour les finances publiques, bien que les données soient très parcellaires sur le coût réel du Pacte Dutreil.
Oxfam met aussi en avant les abattements sur les donations entre parents et enfants ou entre grands-parents et petits enfants qui permettent selon elle aux plus fortunés de léguer tous les quinze ans plusieurs centaines de milliers d'euros sans payer d'impôts.
Attendu cette semaine, le gouvernement du nouveau Premier ministre Michel Barnier devrait annoncer des économies dans le prochain budget, faute de quoi, a alerté le Trésor dans une note datée de juillet, le déficit public s'aggravera par rapport aux prévisions alors que Paris est déjà épinglé par la Commission européenne pour déficit excessif.
- Bernard Arnault -
Celui-ci pourrait atteindre 5,6% du PIB cette année (contre 5,1% prévus) et 6,2% en 2025 (contre 4,1%). Un retour dans les clous européens en 2027 nécessiterait 110 milliards d'économies à cet horizon.
Parmi ses propositions, Oxfam appelle à réformer les niches fiscales et exonérations jugées "inutiles", à supprimer le cumul des abattements et à imposer un barème de taxation unique et progressif qui ne soit plus différencié en fonction des liens de parenté.
Aujourd'hui, "si vous êtes le fils de Bernard Arnault vous allez payer moins de pourcentage de frais de succession que si votre tante ou votre marraine vous lègue 15.000 euros", a résumé Cécile Duflot au cours de la présentation du rapport, illustrant les différents taux de taxation en cas de filiation directe ou indirecte.
La fiscalité sur les successions revient régulièrement dans le débat français. Lors de la campagne pour la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron avait proposé de passer de 100.000 à 150.000 euros l'abattement sur les successions en ligne directe, sans réaliser cette réforme ensuite, et son opposant Jean-Luc Mélenchon d'instaurer un héritage maximal de 12 millions d'euros.
Les propositions d'Oxfam surviennent au moment où les pays développés du G20 discutent cette année d'une éventuelle augmentation de la fiscalité des "super-riches" dont le patrimoine a fortement augmenté ces dernières années à la faveur de l'explosion des cours boursiers.