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Des natures mortes, des portraits, des nus... "des oeuvres sages et plaisantes" selon le goût de l'Allemagne nazie: à Strasbourg, une exposition rassemble 27 tableaux et objets d'art rapatriés en 1945, avec l'infime espoir de les rendre à leurs propriétaires ou à leurs descendants.
"Cet ensemble est le plus beau en France après celui du Louvre", met en avant Dominique Jacquot, conservateur en chef du Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.
Ces 20 peintures, dont un paysage d'Alfred Sisley, et sept objets, répondent à l'acronyme MNR pour "Musées nationaux récupération". Il s'agit du "reliquat d'oeuvres récupérées sur les territoires du Reich en 1945 car elles provenaient de France", explique Thibault de Ravel d'Esclapon, maître de conférences à la faculté de droit de l'Université de Strasbourg et co-commissaire de cette exposition ouverte le 22 octobre.
A la fin de la Seconde guerre mondiale, 61.000 oeuvres provenant de France furent récupérées en Allemagne et en Autriche. Plus de 45.000 étaient rapidement restituées à leurs propriétaires, d'autres furent vendues par l'Etat.
Non réclamées, environ 2.200 ont été sélectionnées et devinrent des "MNR" placées sous la responsabilité de l'Etat.
Si l'historique de toutes n'est pas connu, "nombre de ces oeuvres appartenaient à des familles juives spoliées", indique Thibault de Ravel d'Esclapon. Certaines ont pu être l'objet de ventes non contraintes à l'occupant ou de commandes.
Ces MNR n'appartiennent pas aux musées où elles sont exposées, ni à l'Etat qui en est le dépositaire.
- 'Devoir moral' -
En temps normal, les 27 MNR de Strasbourg sont exposés dans quatre musées de la ville. Pour la première fois, ils sont rassemblés dans un même endroit.
"C'est une exposition qui répond à une mission scientifique, à une mission légale mais avant tout à un devoir moral", estime Paul Lang, directeur des musées de Strasbourg.
Depuis 1999, 112 oeuvres MNR ont pu être restituées à leur propriétaire et ce fut encore le cas en février dernier à Paris. "C'est une histoire qui s'inscrit encore au présent et à l'avenir", assure M. de Ravel d'Esclapon.
Mais le temps limite les chances de retrouver à qui elles appartenaient avant guerre, d'où l'intérêt de faire parler d'elles. Dans l'espoir que cela ravive, chez des descendants, le souvenir d'une oeuvre vue sur une vieille photo de famille ou dans l'inventaire d'une succession.
Pour Paul Lang, "l'objectif idéal" de l'exposition serait qu'à son terme, en mai, toutes les oeuvres MNR conservées à Strasbourg "retournent aux descendants de leurs légitimes propriétaires". Mais il reconnaît là "un voeu pieux", puisque depuis leur arrivée au début des années 1950, cela ne s'est produit pour aucune d'entre elles.
Néanmoins "il n'est pas et il ne sera jamais trop tard", insiste le directeur des musées.
- Rose Valland -
Le catalogue de tous les MNR en France est consultable sur des bornes ou en version papier.
Parmi les oeuvres exposées à Strasbourg, quatre étaient détenues par Hermann Göring, dont le tableau "Les Fiancés" de Lucas de Leyde, présenté comme le plus important de l'exposition. Le maréchal était le deuxième acquéreur d'oeuvres d'art sous l'Allemagne nazie, derrière ceux chargés de constituer le fonds du musée gigantesque qu'Hitler projetait de créer à Linz, en Autriche.
Passionnée par "l'art et le patrimoine", Nelly van der Barnevelt, une ancienne experte-comptable de 74 ans, est venue après s'être passionnée pour un documentaire sur Rose Valland, qui, pendant la guerre, prit des notes clandestinement sur les transferts d'oeuvres par les nazis, des informations décisives pour retrouver et restituer les oeuvres.
"Je voulais voir les tableaux qu'ils avaient à Strasbourg et je ne suis pas déçue", explique-t-elle.
L'exposition "Passé, présent, avenir d'oeuvres récupérées en Allemagne en 1945" est visible jusqu'au 15 mai 2023 à la galerie Heitz du Palais Rohan.